L’art contemporain qui existe par lui-même en tant que tel s’emploie à hybrider les pratiques remettant en question les notions d’outil et de matériau. Le pinceau et le burin ont été supplantés. Le plasticien se donne une liberté nouvelle, celle de piocher dans son sac à outils, au gré de son inspiration. Toutes les techniques sont susceptibles d’entrer dans le champ de la création artistique, peinture, sculpture, collage, photographie, vidéo, performance, assemblage, ready-made. Répondant à deux principes, l’intention et la reconnaissance, l’oeuvre d’art se définit comme telle si l’artiste reconnu par ses pairs la désigne ainsi. La photographie a libéré les impressionnistes de la quête de réalisme pour accéder à une dimension nouvelle celle de l’impression, du sentiment. L’art moderne a débarrassé la statue de son socle, la toile son cadre et Marcel Duchamp, en 1919, avec son célèbre urinoir, Fontaine a atteint le point de rupture du ready-made. L’art a abandonné l’idée de représentation exhaustive pour se faire création d’environnements et de performances, art du récit, de l’interprétation.
Fontaine - Marcel Duchamp |
Campbell's soup - Andy Warhol |
Marilyn - Andy Warhol |
A l’aube des années 1960, les artistes s’engagent sur des nouvelles voies plastiques. L’émergence de nouvelles formes d’expression artistique bouleverse l’ordre établi et les codes sont entièrement repensés. Alors que l’industrialisation et l’avènement de la société de consommation façonnent un nouveau monde, les artistes développent une véritable fascination pour les objets produits en série. L’art prend ses distances avec les matériaux traditionnels, avec les outils classiques mais choisit également de s’émanciper des règles de la vie en société, du bon goût. Les critères habituels de l’art et les préoccupations esthétiques sont dépassés.
Inspiré par l’univers visuels des mass media, journaux, bande-dessinée, publicité, Andy Warhol (1928-1987) cherche à faire disparaître la main de l’artiste, gommer l’intervention humaine. Le pochoir, la reprographie, la sérigraphie lui permettent de produire des séries en grand nombre. Ce procédé de banalisation de l’image détournée va dénaturer le concept même de modèle et engendrer un déplacement de sens radical.
Consigne à vie, Accumulation d'Arman |
Compression - César |
Sculpture méta-mécanique de Jean Tinguely |
Les objets de la production de masse du XXème siècle, uniquement fonctionnels, finissent rapidement au rebut, hors d’usage ou passés de mode. Les artistes s’en saisissent, les mettent en scène. Détournés de leur contexte originel, ils deviennent les matériaux de l’expression artistique. Les Accumulations d'Arman (1928-2005) répondent à une logique de saturation de l’espace, une puissance d’évocation. La beauté surgit de l’accumulation des objets sur lesquels il intervient alors qu’ils perdent tout sens utilitaire.
Dans le même temps, César (1921-1998) explore une nouvelle forme, celle des Compressions. Il récupère de la ferraille, un matériau peu coûteux, dans les décharges. Chez un ferrailleur, il découvre le processus de compression par presse américaine qui compacte les carcasses de voitures afin d’en faciliter la manutention. Avec les compressions dirigées, qui rendent César célèbre, la presse hydraulique, outil industriel, devient outil de l’art.
L’art cinétique de Jean Tinguely (1925-1991) est un art d’assemblage à travers lequel il cherche le mouvement, l’image et le son. A partir de matériaux composites récupérés dans des décharges, il constitue des sculptures méta-mécaniques, machines non-productives.
Niki de Saint Phalle en action pour l'un de ses Tirs |
ANT 82, Anthropométrie de l'époque bleue - Yves Klein |
Affranchi des limites techniques jusqu’à la dématérialisation, l’artiste ouvre le champ des possibles. Dès les années 1950-60, de nouveaux gestes artistiques voient le jour : action-painting de Jackson Pollock (1912-1956), happenings, performances dont le pionnier est le peintre pop art Allan Kaprow (1927-2007) avec 18 happenings in 6 Parts (1959) mais aussi le body-art. L’artiste s’engage dans une action pour détourner les conventions de la représentation. La mise en scène du corps, engendre une oeuvre qui renonce à la mise en forme volontaire, fruit d’une forme de hasard, de l’instant.
La série des Tirs de Niki de Saint Phalle (1930-2002) procède de l’acte de destruction dont émerge une nouvelle oeuvre. L’artiste tire à la carabine sur des tableaux préparés à l’avance, composés d’éléments disparates de récupération, des flacons d’encre, des sachets de peinture desquels s’échappent la couleur en éclaboussures. Le tir à se substitue à l’acte de peindre et le fusil devenu outil au pinceau.
En 1960, au cours de performances publiques, Yves Klein (1928-1962) enduit le corps de modèles féminins de peinture qui deviennent ainsi des « pinceaux vivants ». Elles s’allongent sur le sol couvert de papier et réalisent des mouvements selon la technique de l’empreinte. L’artiste peint sans toucher la toile et créé la série des Anthropométries.
Rêvolutions - Céleste Boursier-Mougenot |
The physical impossibility of the death in the mind of someone living Damien Hirst |
Balloon Dog - Jeff Koons |
Aujourd’hui, la pratique artistique sous l’influence de la technologie tend à se dématérialiser. Les outils font place à des logiciels techniques, l’expression artistique est conceptuelle. La science elle-même peut à l’occasion se faire outil de l’art contemporain. Céleste Boursier-Mougenot, compositeur et plasticien, réalise des installations qui donnent une forme autonome à sa musique. Pour le projet Rêvolutions, oniriques arbres danseurs présentés au pavillon de la France lors de la 56ème Biennale de Venise en 2015, il a travaillé pendant des mois avec Jean-Paul Laumond chercheur au CNRS. Mais parfois, le sens est détourné à tel point que le titre est nécessaire à la compréhension de l’oeuvre. Ainsi le requin plongé dans le formol de Damien Hirst s’intitule-t-il The physical impossibility of the death in the mind of someone living.
Le processus a mené à une situation curieuse. A l’image de Jeff Koons, de Wim Delvoye, l’artiste a muté en chef d’entreprise. Reflet de la logique productiviste de notre époque, il développe une marque, une société, délègue la production des œuvres à des petites mains, n’intervient plus jamais sur l’objet final.
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