Lundi Librairie : L'Année du Lion - Deon Meyer



L'Année du Lion - Deon Meyer : Au lendemain d’une terrible pandémie, 90% de la population mondiale a disparu. Seuls les individus naturellement immunisés par certains gènes ont survécu. Les installations issues de la technologie humaine ont cessé de fonctionner faute d’entretien. Il n’y a plus d’eau courante, plus d’électricité. Les satellites de communication ont chuté, les centrales nucléaires explosé. Les rescapés errent sur la route où ils sont victimes de la famine, de bandes de pillards, de chiens redevenus sauvages, de la nature hostile. En Afrique du Sud, Nicolas, treize ans, et Willem Storm, son père, traversent le Karoo à bord d’un camion remorque dans lequel ils amassent ce qu’ils peuvent, vivres et livres. Visionnaire humaniste, Willem a pour idée de rejoindre le barrage de Vanderkloof, afin de fonder une nouvelle colonie, recréer une société humaine équitable, démocratique. Ils croisent la route de Hennie As, pilote d’avion émérite et éleveur de poulets. Puis celle de Beryl, championne de golf qui a recueilli toute une tribu de gamins orphelins. A Amanzi, « l’eau » en zoulou, ils sont rejoints par Domingo un ancien soldat, mercenaire anarchiste qui considère que nous sommes tous des animaux, Nero le psy, Birdie l’ingénieure. Il y a aussi le pasteur Nkosi obnubilé par le pouvoir et l’idée de placer Dieu au centre de la civilisation. Peu à peu, les hommes, les bonnes volontés et les savoirs se rassemblent. L’utopie dont rêve Willem pourra-t-elle tenir face à l’adversité du monde.

Roman post-apocalyptique haletant, L’Année du Lion emprunte les codes du polar dont Deon Meyer est plus coutumier afin de déployer un récit au suspense particulièrement réussi. Dès les premières pages, Nicolas, le narrateur devenu adulte nous apprend le meurtre du sage pacifiste, l’éclairé non violent, Willem. Dans une sorte de journal a posteriori, Nicolas retrace toutes les années de fondation de la nouvelle communauté.

L’intrigue complexe glisse vers le récit polyphonique quand le romancier insère les témoignages des différents protagonistes de la communauté, sous forme d’entretiens accordés à Willem, désireux de rassembler les histoires de chacun afin de reconstruire une Histoire pour tous. Rassemblant la mémoire du passé, les personnages plutôt stéréotypés au début s’incarnent réellement et se nuancent à travers cet exercice. Sur fond de trame survivaliste classique, Deon Meyer, dont les talents de conteur sont évidents, tisse, au-delà du page-turner, une réflexion sur la civilisation elle-même. Par le biais de cette expérience radicale de la table rase, il explore les arcanes de la nature humaine donnant une dimension philosophique et politique à cette dystopie tendue.

Si les technologies du progrès sont à reconquérir, il est aussi question de reconstruire cette société humaine sans reproduire les mêmes erreurs, les inégalités sociales, le racisme, le fanatisme religieux, la destruction de l’environnement. Le projet d’une communauté multiraciale égalitaire résonne d’une manière particulière dans le cadre d’une Afrique du Sud post-apartheid. A Amanzi, les inévitables conflits internes révèlent le meilleur et le pire. L’être humain semble ici naturellement développer une véritable fascination pour le chaos, un don pour la manipulation et un goût pour la trahison. La tentation de l’autoritarisme plane. L’idéalisme se confronte à la réalité des hommes.

Dans la dynamique des rapports père-fils, Willem-Nicolas, Deon Meyer interroge la transmission du sens moral, des valeurs, de la considération mutuelle. Dans un monde neuf privé de repères, il questionne les notions de déterminisme et d’éthique avec lucidité ne pouvant néanmoins caché l’empathie profonde qu’il éprouve envers cette humanité plurielle.

Portée par un puissant souffle romanesque, L’Année du Lion est une fresque épique qui affirme l’espoir de l’auteur. Et la fin particulièrement réussie fait porter un regard complètement différent sur l’ensemble du récit.

L’Année du Lion, de Deon Meyer - Traduit (afrikaans et anglais) par Catherine Du Toit et Marie-Caroline Aubert - Editions du Seuil - Edition de poche Points



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.