Cinéma : Sale temps à l'Hôtel El Royale, de Drew Goddard - Avec Jeff Bridges, Cynthia Erivo, Chris Hemsworth



1969, sur les rives du lac Tahoe, à la frontière de la Californie et du Nevada, El Royale est un hôtel poussiéreux tombé en désuétude après quelques heures de gloire. Déserté, il n’est plus tenu que par un seul employé fébrile, aux habitudes délétères. L’établissement connaît soudainement un pic de fréquentation inexpliqué avec l’arrivée du père Flynn, de Darlene Sweet, une chanteuse de soul, de Laramie Seymour Sullivan un représentant de commerce et d’Emily Summerspring, jeune hippie délurée tout juste échappée d’une secte dont le gourou la poursuit. La réunion de ces étrangers qui dissimulent tous des secrets ne semble pas être une coïncidence. La nuit vient. Un orage se déchaîne. Les véhicules sont mystérieusement sabotés. Le jeu de massacre débute.







Après des débuts, en tant que réalisateur, placés sous le signe de l’horreur avec La Cabane dans les bois en 2012, des scénarios remarqués de World War Z en 2013, Seul sur Mars en 2015 et un travail sur des séries culte, Buffy contre les vampiresAliasLost, Drew Goddard signe un film qui joue avec les stéréotypes du cinéma de genre. Une pincée de polar, un soupçon d’angoisse, une dose de satire mais aussi une bonne rasade de comédie, ce huis clos fatal à l’issue inéluctable déploie un suspense efficace malgré quelques longueurs. Dans des atmosphères claustrophobes très réussies, le réalisateur tisse des mystères avant de déchaîner le chaos sur une bande originale ultra-punchy. 

Le casting cinq étoiles s’en donne à cœur joie pour incarner cette galerie de personnages complexes dans un brillant numéro d’acteurs. Jeff Bridges y est épatant tandis que Cynthia Erivo remporte les suffrages par sa voix sublime. Pas très habillé, Chris Hemsworth joue avec sa propre image en gourou charismatique complètement allumé. A noter une courte et savoureuse apparition de Xavier Dolan dans le rôle d’un manager véreux.

Flamboyance et décadence soutiennent l’originalité d’un divertissement baroque très stylisé où l’esthétique, l’image, la lumière, les contrastes se taillent la part du lion. Sans aller jusqu’à la citation, l’influence de Tarantino se retrouve dans la violence décomplexée tandis que la dimension absurde du film renvoie au cinéma des frères Coen. Apparences trompeuses, révélations inattendues, il n’y a pas de rencontres fortuites et le hasard des chemins qui se croisent renvoie directement au passé trouble révélé par des flash-backs rocambolesques. Le découpage en chapitres permet à Drew Goddard d’expérimenter sur la forme narrative, étirant la temporalité pour mieux souligner retournements de situation et rebondissements imprévisibles, même s’il manque parfois d’audace et ne va pas jusqu’au bout de ses intuitions.




L’actualité des sixties qui forme toile de fond - la guerre du Vietnam, l’élection de Nixon, la corruption des forces de police, le racisme ambiant, la misogynie assumée - illustre la décadence sociétale, les rêves brisés d’une Amérique tellement familière et actuelle qu’il est difficile ne pas y voir la critique acerbe des années Trump. Décalé, sanglant, cruel et drôle, Sale temps à l’Hôtel El Royale ne manque pas d’atouts. Assez jubilatoire !

Sale temps à l’Hôtel El Royale, de Drew Goddard
Avec Jeff Bridges, Cynthia Erivo, Chris Hemsworth, Dakota Johnson, Jon Hamm, Lewis Pullman, Caile Spaeny, Manny Jacinto
Sortie le 7 novembre 2018 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.