Sex & Rage - Eve Babitz : Née au milieu des années 1940, Jacaranda Leven a grandi à Santa Monica. Cette jeune californienne, fille d’un père violoniste troskiste musicien de studio et d’une mère artiste mène une enfance bohème et libre sur les bords du Pacifique. Très tôt, elle sèche les cours pour aller surfer. A dix-huit ans, pas tentée par les études, Jacaranda gagne sa vie en peignant des planches de skate. Lorsqu’elle tombe amoureuse de Colman, prof de théâtre newyorkais, elle découvre le milieu artistique de la côte Ouest. Mais ça ne dure pas. Rien ne dure à par l'été sans fin de la Californie. Jacaranda s’étourdit de fêtes en fêtes. Sur les hauteurs d’Hollywood, la vie est libre. Elle fait la connaissance de Max séduisant manipulateur, grand ordonnateur des plaisirs d’autrui, un peu majordome, un peu rabatteur pour Etienne un richissime quinquagénaire, homme d’affaires redoutable amateur de fêtes orgiaques et de jeunes beautés. Jacaranda se fait adopter par les oiseaux de nuit, riches oisifs en quête de divertissement, engeance revenue de tout qui se vautre dans les excès, drogue à profusion, alcool à volonté, sexe sans lendemain. Derrière les paillettes, il y a la vacuité, la dépression que Jacaranda combat en écrivant ce qui n’est pas du goût de ses "amis". Un soir elle a vingt-huit et un sérieux problème d’alcool. Tout passe, les amours, la jeunesse, la beauté physique. Aurait-elle atteint la date de péremption ? Plutôt que l'overdose, elle choisit l'écriture.
Roman d’apprentissage mêlant intimement fiction et réalité, Sex & Rage s’affirme comme l’autoportrait à peine grimé de son auteur, Eve Babitz, romancière injustement tombée dans l’oubli. En 1963, elle a vingt ans et devient célèbre à cause d’un cliché du photographe Julian Wasser. Eve Babitz y joue aux échecs, entièrement nue, face à Marcel Duchamp. Maîtresse de Jim Morrison, d’Ed Ruscha, de Steve Martin, d’Harrison Ford, cette égérie de la scène artistique californienne, s’est fait chantre de la contre-culture en relevant la plume à l’âge de trente ans comme on relève un défi mais presque par inadvertance.
Regard aigu et esprit fantasque, dans Sex & Rage paru en 1979 aux Etats-Unis, elle démêle l’écheveau de ses souvenirs pour nous raconter une époque et incarner par ses mots l’essence d’une ville, la terrible et délicieuse Los Angeles. Elle possède la grâce de la désinvolture, la fantaisie, une plume insolente plongée dans l’acide, teintée de mélancolie. Sur les rives angelines, fêlures et flamboyance sont promesses de naufrage. La déchéance inéluctable. Il n’est pas simple d’échapper à la médiocrité des hommes, à la misogynie intériorisée.
Plages et fêtes, hédonisme et désastres forment la toile de fond de ce récit hypnotique déployé avec nonchalance, chroniques désenchantées de la Cité des Anges, des années 1960 aux années 1970. Eve Babitz n’idéalise pas cette mémoire encore vive malgré les brumes des excès. Irrésistible personnalité, jamais impressionnée, cette fine observatrice verse plutôt dans le réalisme et les épiphanies des petits matins blêmes. Entre opulence et dérives, s’exprime son goût pour les abîmes, le vertige des sens, les paradis artificiels.
A l’expressivité d’un esprit affuté, Eve Babitz associe cette forme de détachement, charme suprême, de mise à distance qui lui permet d’évoquer avec lucidité la monotonie d’une existence entièrement vouée aux plaisirs physiques, les trahisons, la dépression, les addictions. Aussi cruel que tendre, le roman est d’une modernité frappante, d’une actualité troublante. Le récit de Jacaranda, c’est l’histoire d’une rédemption, d’une revanche contre un monde machiste. Un très beau livre.
Sex & Rage, conseils à l'attention des jeunes demoiselles avides de prendre du bon temps - Eve Babitz - Traduction Jakuta Alikavazovic - Editions du Seuil
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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