Le passage Saint- Maur, intrigante voie privée accessible au public en journée par un porche d’immeuble n’est indiquée par aucune mention sur rue. Il débute au 81 rue Saint-Maur et se termine sur le passage Saint Ambroise. Cette ancienne cour industrielle accueillait au XIXème siècle des petites manufactures spécialisées dans la mécanique et la confection. Les anciens ateliers à pans de bois ont été reconvertis dans l’esprit des lieux. De nos jours, ils sont occupés par un atelier de céramique, des associations culturelles, un studio d’architecte, un bureau de communication et une boutique dépôt-vente. Les immeubles n’excèdent pas les deux étages. Au-delà de la porte cochère, le temps semble suspendu dans la ouate d’une douce atmosphère. Sous le porche par lequel le piéton accède, un intrigant carré de pavés se fait remarquer par la singulière sonorité qu’il renvoie. Les pas sont comme assourdis sur ce morceau de pavement qui, à y regarder de plus près, paraît différent des pavés de grès classiques du reste du passage. Préservés des intempéries, des campagnes de renouvellement et des changements d’administration, se trouvent ici l’un des derniers exemples encore visibles de pavement en bois, méthode qui eut son heure de gloire à Paris à la fin du XIXème siècle.
En ville, dès le Moyen-âge, les débats autour du revêtement de la chaussée en ville sont vifs. Mais à Paris, il faudra attendre la deuxième moitié du XIXème siècle avant que les autorités ne mettent en oeuvre des solutions pérennes et étendues à toute la cité. Piétons et voitures à cheval se partagent des voies envahies par la boue des rues. Contre celle-ci, la mesure la plus importante sera le développement des égouts permettant l’évacuation des eaux usées sous l’impulsion du préfet Haussmann et de l’ingénieur Belgrand. Et pour le confort des usagers de la route, la voirie est pavée. Les cinq types de revêtement - le pavé gros, le petit pavé piqué, le macadam, l’asphalte et le pavage de bois - possèdent chacun leurs qualités et leurs défauts.
A Londres, la ville moderne par excellence que toute l’Europe semble vouloir copier dans les années 1830, la ville qui va inspirer Napoléon III et le baron Haussmann, ce sont les pavés en bois, peu bruyants car plus souples aux sabots des chevaux, qui sont privilégiés. Cette technique particulière est importée en France par la compagnie anglaise Improved Wood Pavment Company qui devient à Paris la Société des pavages en bois. En 1881, les premiers essais rue de la Croix des Petits Champs et rue Richelieu satisfont les autorités. Le pavé de bois gagne les lieux les plus prestigieux de la ville, l’avenue des Champs Elysées, l’avenue Marigny, la place Beauvau, la rue de l’Elysées, la place de l’Opéra, la rue Royale et les grands boulevards.
Les pavés sont constitués de madrier de sapin taillés en rectangle de 22 cm de long, 12 de haut et 8 de large. Positionnés par bandes parallèles aux abords de la chaussée, ces rectangles de bois sont joints avec une mixture de bitume bouillant et recouverts d’un mortier léger en surface.
Si la surface de roulement est tout d’abord appréciée pour l’atténuation des bruits, rapidement des problèmes inhérents au bois apparaissent. Sensibles aux intempéries, les pavés deviennent glissants sous la pluie. Dans une tentative pour trouver une solution, des rainures sont alors tracées tous les 40 cm pour tenter d’éviter le patinage des véhicules et des passants.
Autre souci majeur, malgré les traitements le pourrissement du bois est inévitable. Les odeurs méphitiques dégagées par la chaussée soulignent ce problème d’hygiène. Si les arroseuses municipales passent tous les jours dans les rues, celles pavées de bois n’en demeurent pas moins des nids à miasmes provocant des infections aux pieds des chevaux. Et puis la population parisienne trouve une toute autre fonction à ces morceaux de sapin. Durant les hivers rudes, les plus démunis se servent des pavés comme bois de chauffage.
A partir de 1905, le développement des nouveaux moyens de locomotion, automobiles à moteur, vélo conforte la Ville dans un choix de revêtement plus fiable. Durant la grande crue de Paris en 1910, les inondations soulèvent et dépavent les chaussées de bois. A la décrue, d’autres matériaux sont choisis. Les pavés de bois sont progressivement délaissés et définitivement abandonné en 1938. De nos jours, quelques rares vestiges demeurent dans les cours intérieures ou les entrées d’immeubles comme c’est le cas au 81 rue Saint Maur.
Passage Saint Maur - Paris 11
Accès 81 rue Saint Maur
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Bibliographie
Curiosités de Paris : Inventaire insolite des trésors minuscules - Dominique Leborgne - Parigramme
Dictionnaire historique des rues de Paris - Jacques Hillairet - Éditions de Minuit
Sites référents
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