Jeune enseignant de vingt-huit ans, le Danois Anders Hvidegaard ne fait pas le choix de la facilité pour sa première année d’exercice. Non seulement il décide de partir pour le Groenland, mais alors qu’on lui propose un poste dans une grande ville, il lui préfère celui dans le petit village isolé de Tiniteqilaaq. Motivé par l’envie de s’éloigner de la ferme familiale, Anders se lance à la hâte dans une aventure humaine très éloignée de ce qu’il pouvait imaginer. Pas évident de s’intégrer dans une communauté de quatre-vingt Inuits lorsqu’on ne parle même pas leur langue…
Réalisateur de fictions documentaires et d’épisodes du Bureau des légendes, le Français Samuel Collardey voulait revenir à l’esprit de ses premiers courts métrages et son premier long L’apprenti qui se déroulait en milieu rural. Sur les conseils de son ingénieur du son et de sa coscénariste Catherine Paillé, il s’est alors rendu avec son producteur au Groenland en avril 2015. C’est à la fin de son voyage, en parcourant la côte Est la plus sauvage du pays, qu’il a trouvé le hameau de Tiniteqilaaq. A la recherche d’un scénario en prise avec le réel, Collardey a trouvé le sujet rêvé avec le remplacement de l’institutrice retraitée par un nouvel arrivant. La rencontre entre Anders et la culture inuit s’offre alors comme un miroir idéal à l’expérience de découverte du réalisateur.
Une année polaire nous en apprend beaucoup sur la vie quotidienne et les mœurs des Inuits. Comme Anders, nous découvrons que les enfants vivent rarement avec leurs parents sans qu’il y ait nécessairement de problèmes familiaux. Collardey montre bien à quel point la chasse est importante dans la communauté, quitte à devenir prioritaire par rapport à l’éducation par l’école. Peu de jeunes auront finalement l’occasion de faire des études prolongées, et leur avenir et survie passent plutôt par des savoir-faire transmis de génération en génération.
Surtout, le cinéaste nous fait sentir la barrière culturelle et les tensions qui existent entre les Danois et les Groenlandais autochtones, dans un rapport proche de celui du colonisateur au colonisé. Autoritaire avec ses élèves peu disciplinés, Anders doit apprendre progressivement à s’adapter à eux et à être à leur écoute. Enjeu crucial dans l’intégration de l’instituteur au sein de la communauté, la question de la langue se retrouve souvent au centre des scènes. La non-compréhension du dialecte inuit par Anders peut aussi bien servir de base à des dialogues de sourds comiques qu’illustrer le rapprochement touchant qui s’opère entre lui et les villageois au fur et à mesure de son apprentissage.
Habile à montrer les rapports humains, Collardey convainc moins lorsqu’il s’agit de mettre en scène la nature et les espaces. Les premières images majestueuses de la banquise, filmées avec un drone et accompagnées d’une musique emphatique, évoquent un peu trop l’imagerie des offices de tourisme. Les rencontres avec les animaux sauvages de la dernière partie du film pâtissent quant à elles d’être filmées en champ-contre-champ. Les ours et baleines ne partagent hélas jamais les cadres avec les hommes, et on pense alors à l’article d’André Bazin sur le « montage interdit ». C’est d’autant plus dommage que Collardey parvient à nous plonger parfois de façon saisissante dans l’ambiance climatique du Groenland. Le simple plan d’une maison, filmée au crépuscule ou de nuit en pleine tempête de neige, suffit à dire la beauté et la rudesse de cet environnement sauvage.
Une année polaire, de Samuel Collardey
Avec Anders Hvidegaard, Asser Boassen, Thomasine Jonathansen
Sortie le 30 mai 2018
Cinéphile averti, Didier Flori est l’auteur de l’excellent blog consacré au cinéma Caméra Critique que je ne saurais trop vous conseiller. Egalement réalisateur et scénariste, c’est avec ferveur qu’il œuvre dans le cadre de l’association Arte Diem Millenium qui soutient les projets artistiques de diverses manières, réalisation, promotion, distribution… Style ciselé, plume inspirée et regard attentif, goûts éclectiques et pointus, ses chroniques cinéma révèlent avec énergie toute la passion pour le 7ème art qui l'anime.
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