Claustria - Régis Jauffret : En mars 2009, Josef Fitzl est condamné par la justice autrichienne à la prison à vie pour séquestration, viol, meurtre. Durant vingt-quatre ans, de 1984 à 2008, il a séquestré Elisabeth / Angelika, sa fille dans une cave sous la maison familiale, un abri antiatomique transformé en bunker prison aménagé avec un soin maniaque. Esclave sexuelle, martyre, la jeune femme a donné naissance à sept enfants issus de l'inceste dont trois ont grandi dans la cave avec leur mère, un cachot insalubre dans lequel la télévision était le seul lien avec l'extérieur. La femme de Fritzl, la famille, les voisins, les locataires ont prétendu n'avoir rien remarqué, ont préféré ne pas voir, ne sont pas intervenus.
Sans jamais sombrer dans le voyeurisme, Régis Jauffret se confronte au pouvoir morbide du fait divers, dissèque l'horreur. Pour imaginer l'inimaginable de cette histoire odieuse, il se saisit de l'information monstrueuse, de la hideur hors norme, investit les faits entremêlant le travail d'enquête et la reconstitution, la fiction et le réel, les scènes imaginées et les faits issus du dossier.
En préambule, Régis Jauffret notifie qu'il s'agit d'une oeuvre de fiction, un roman tissé à partir de cette affaire, basé sur des évènements réels dont il s'inspire directement mais extrapolé afin de raconter ce qu'a pu être la vie dans ce sous-sol. L'écrivain n'hésite pas à se mettre en scène dans le processus dans son travail d'investigation sur place. Le silence des victimes, leur mutisme après le procès a rendu possible ce procédé de réinvention des événements par le biais duquel Régis Jauffret matérialise les psychés, pénètre les consciences. La perversité du bourreau, la détresse de ses proies, l'auteur, en perpétuelle empathie avec les personnages, ne nous épargne rien dans ce texte d'une intensité radicale.
Josef Fritzl, le seul à qui l'auteur a laissé son véritable nom, apparaît comme un patriarche monstrueux aux dimensions mythologiques. Pour exprimer ce martyre de vingt-quatre ans, une durée inconcevable, Régis Jauffret, écriture d'une précision chirurgicale, rend compte de l'indicible, les atrocités subies et ce temps étiré jusqu'à l'impensable. Il y a l'enfermement, la solitude, la peur et l'installation d'un quotidien dément. L'expérience de la claustration, les violences, la faim, les viols, les accouchements, il redonne voix à Angelika, déploie ses pensées interprétées dans une tentative de comprendre l'effroyable. La puissance d'évocation est difficilement soutenable dans cette exploration des ressorts de l'horreur.
Livre viscéral, réflexion saisissante sur le Mal et sa banalité, Claustria, d'une âpreté éprouvante, interroge avec force l'idée de condition humaine. Un roman dont on ne ressort pas indemne.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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