Lundi Librairie : Le livre de Dave - Will Self



Le livre de Dave - Will Self : Après un déluge, l'Angleterre n'est plus qu'un ensemble d'ilots épars. Toute technologie avancée a disparu et la civilisation survit dans les décombres du cataclysme. Les habitants maintenus dans la plus vile crétinerie vivent sous le joug d'une société religieuse fondamentaliste. Les miliciens de cet ordre nouveau font régner la terreur et veille au scrupuleux respect des préceptes fanatiques extraits du Livre de Dave, la nouvelle bible, fondement d'une société patriarcale. Ce texte révélé prévoit institutionnellement, la séparation des hommes et des femmes qui partagent la garde des enfants une semaine sur deux. La connaissance du live gère tous les aspects de la vie quotidienne. 500 ans auparavant, à la fin des années 1980, Dave Rudman, un chauffeur de taxi un peu bas de plafond, arpente les rues de Londres dans son vieux tacot brinquebalant, une Fairway qui tombe en ruines. Son ex-femme Michelle l'a largué et obtenu la garde de leur fils. Désespéré parce qu'il perd ses cheveux, il s'enfonce dans la dépression et passe ses journées à fulminer contre le monde qu'il l'entoure. Misogyne, homophobe, raciste, xénophobe, il s'en prend aux touristes, aux capitalistes, aux riches, aux pauvres, aux immigrés, aux femmes… Un jour, il décide de réunir tous ces monologues dingues ruminés derrière son volant dans un livre qu'il destine à son fils. 

Cauchemardesque dystopie, Le livre de Dave est une fable satirique tragi-comique d'une folle inventivité. Will Self, toujours aussi brillant, aussi barré, pose un regard désabusé sur ses frères humains. Dans un texte radicalement pessimiste, il exploite son goût de la provocation, pianotant sur la gamme de la science-fiction avec une ironie grinçante pour mieux nous parler de notre époque.

Emprunt, invention, chimères, l'auteur expérimente, déconstruit la langue, la tord, en fait autre chose. Le sabir parlé par les autochtones de l'Angleterre nouvelle est le Mockni, un mélange de cockney et de langage SMS, qui s'oppose à l'Arpee des classes sociales supérieures. Ce curieux langage, entre éructations, phonétique, argot et jargon des chauffeurs de taxi joue à cache-cache avec l'esprit du lecteur. Un lexique en fin de roman lui facilite la tâche. Le remarquable travail de traduction de Robert Davreu est à saluer bien bas.

Le roman basé sur l'idée d'un type pathétique en son temps devenu prophète par le truchement d'un hasard jubilatoire, alterne les époques, entrecroise les récits. Dans la partie futuriste, les élucubrations incohérentes d'un dingo illettré, somme de toutes ses haines, de toutes ses obsessions sont le terreau d'un nouvel ordre social. Les pires frustrations de cet homme limité, le désespoir, les rancoeurs et la psychose grandissante font loi, une façon pour l'auteur d'interroger le caractère sacré d'un texte, le fondamentalisme aveugle, le besoin de croire à tout prix et d'obéir, de se soumettre à l'ordre établi.

Fondamentalisme interprétation littérale besoin aveugle de croire et d'obéir, soumission à l'ordre établi, société patriarcale, imbécillité des textes sacrés et danger de l'idéalisme volonté d'imposer au monde ses propres valeurs. Les chapitres contemporains exploitent la veine de la satire sociale. Will Self peint un tableau vivace et cocasse de l'Angleterre de la fin du XXème siècle passée par le prisme de l'esprit dérangé de Dave, pays gangrené par l'intolérance, la faillite, le chômage, le racisme, la lutte des classes. Triste réalité du messie pas encore révélé.

Monde alternatif reflet du nôtre, à la fois familier et étrange, inquiétant, l'univers de Will Self nous prédit l'effondrement de la civilisation avec un petit sourire en coin et une bonne dose de folie.

Le livre de Dave - Will Self - Traduction Robert Davreu - Editions de l'Olivier - Poche Points



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.