La femme de Jacques Blanchot lui annonce qu'il doit quitter leur maison sur le champ car elle lui est allergique. Il lui provoque une forme rare d'urticaire. Jacques accepte sans broncher cette excuse, plus soucieux de la santé de son épouse que de l'improbabilité de ce prétexte. Leur fils, peu touché par ce départ, voudrait un chien. En partant de son domicile, Jacques se rend dans un chenil tenu par un Max, un homme étrange qui lui vend un chihuahua, une énorme niche, un gigantesque sac de croquettes et des cours de dressage. A peine sorti de l'endroit, le cabot se fait écraser par un bus. Jacques atterrit dans un hôtel sinistre. Peu après, il se fait renvoyer de son travail. Il décide par curiosité de se rendre, sans chien, aux leçons de dressage en groupe qu'il a payé. Max l'autorise à y assister à condition que Jacques participe au cours en tant que chien. Et il accepte. De plus en plus étranger au monde qui l'entoure, il est chassé de son hôtel pour défaut de paiement. Max le recueille comme on recueille un chien abandonné et fait de Jacques son animal de compagnie. Il entreprend de le dresser.
Fable kafkaïenne, conte cruel de la contemporanéité, ce récit social aussi étrange que dérangeant court sur la frontière floue entre rêve/cauchemar et réalité. Dans la veine surréaliste du texte originel, Samuel Benchetrit adapte son roman paru en 2015 dont je vous parlais ici. A la fois drôle et cruel, le film porte un regard lucide sur la société où les animaux de compagnie sont souvent mieux traités que beaucoup d'êtres humains. Une façon pour le réalisateur d'explorer poétiquement l'absurdité de nos vies. L'esthétique visuelle du long-métrage exalte la désolation glacée d'un décor fantomatique, zone industrielle, bord de nationale, hôtel lugubre. La mélancolie du béton se fait l'écho des solitudes urbaines. En abordant les thèmes de l'exclusion sociale et de la déshumanisation, le cinéaste évoque avec force la sourde violence du monde dans lequel nous évoluons.
Chien, c'est l'histoire d'un homme qui perd tout, femme, enfant, domicile, travail, se laisse malmener par les autres sans réagir, en acceptant tout, totalement passif face aux malheurs qui pleuvent sur lui. En fait, il n'a plus tellement envie d'être humain. Jacques est un anti-héros moderne sans ambition, homme ordinaire dépourvu de tout cynisme, de toute combattivité, d'une bienveillance absolue. Dans la chute du déclassement, il devient une figure presque christique. Victime, il garde toujours une forme d'innocence, sa générosité s'opposant à l'égoïsme des autres.
Absent au monde, absent à lui-même, Jacques se laisse aller au vertige de la dépression et paradoxalement au don total de soi. Le récit prend alors une dimension politique. Dans la tentation de se soumettre totalement, plier devant l'autorité, obéir, devenir chien quitte à se faire martyriser, il y a une évocation de notre soumission face à l'ordre établi, de la servilité face au pouvoir.
Interprétation sensible et subtile, Vincent Macaigne en souffre-douleur universel est impeccable. Il fallait un sacré comédien pour incarner ce personnage auquel malgré sa tendresse, il est difficile de s'attacher de prime abord. Face à lui, ogre cauchemardesque, dresseur sadique, Bouli Lanners parvient à rendre les moments de douceur de son personnage plus effrayants même que sa violence. Certaines scènes d'humiliation et de mauvais traitements sont difficilement soutenables. Dans le rôle de l'épouse manipulatrice d'une rare cruauté qui joue les fragiles, Vanessa Paradis est épatante.
Chronique d'une humanité en perte de repères, Chien est un film subversif, extrêmement troublant. Une belle réussite d'une grande originalité.
Chien, de Samuel Benchetrit
Avec Vincent Macaigne, Bouli Lanners, Vanessa Paradis
Sortie le 14 mars 2018
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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