Ancienne secrétaire à la Caisse des dépôts et consignations, Jeanne vit au vingt-huitième étage d'une tour HLM du XIème arrondissement. La retraitée, cloîtrée dans sa solitude, passe ses journées à découper des magazines quand elle n'espionne pas ses voisins se réjouissant de leurs déboires. Le caractère acariâtre de la vieille dame l'a peu à peu coupé de tout son entourage. Dans son petit appartement, qu'elle a transformé, méfiante jusqu'à la paranoïa, en forteresse, elle rumine les rancœurs accumulées au fil des années. Lorsqu'Anne Legal responsable des services sociaux de la Mairie et élue locale en pleine campagne pour les municipales vient lui annoncer la création d'un service d'aide à la personne auquel elle pourrait prétendre, Jeanne n'accepte cette nouvelle proposition qu'à contrecoeur. Chaque jour, un plateau-repas lui est dès lors porté par Marin, jeune homme taciturne, un peu simple. Une relation complexe se noue entre ces deux êtres que tout sépare.
Intelligente et lucide, cette pièce sur la vieillesse, la solitude, l'exclusion court sur le fil qui va de la tendresse à l'humour noir. Après Divina et Nelson, Jean Robert-Charrier change de registre pour une comédie douce-amère qui flirte avec le drame. Jeanne dresse un portrait caustique de notre société et de ses travers dont l'isolement du troisième âge, l'individualisme triomphant, l'électoralisme des politiques sont des exemples frappants. Le constat est sans concession. La satire cinglante s'attaque à ces les dispositifs sociaux ne cherchent, sous couvert de solidarité, qu'à redorer l'image de la ville avant les élections.
Cette histoire de retraitée seule et revêche qui s'adoucit au contact d'un jeune homme se révèle à la fois drôle et touchante. Le personnage de Jeanne est une vieille dame qui n'a pas sa langue dans sa poche. Les répliques des plus savoureuses fusent, piquantes. Du choc des générations naît une amitié où la compassion et l'humanité retrouvent une place pour éclairer un quotidien triste.
La mise en scène à la fois très sobre et efficace, imaginée par Jean-Luc Revol, fait la part belle au jeu des comédiens. Nicole Croisille incarne avec panache la gouaille d'une vieille dame indigne qui malgré sa méchanceté affichée, entre colères dantesques et crise de paranoïa, ses ambiguïtés, demeure très attachante. Face à elle, Charles Templon dans le rôle de Marin interprète avec beaucoup de sensibilité ce jeune homme timide, un peu maladroit, un peu benêt mais terriblement touchant. Florence Muller en élue locale en campagne est désopilante.
Humour décalé, réflexion sociétale, Jeanne est une pièce pleine de tendresse finement construite malgré quelques longueurs. Un émouvant moment de théâtre.
Jeanne, de Jean Robert-Charrier
Mise en scène Jean-Luc Revol assisté de José-Antonio Pereira
Avec Nicole Croisille, Charles Templon, Florence Muller, Geoffrey Palisse
Jusqu’au 31 décembre 2017
Du mardi au vendredi 19h, le samedi à 16h30 et 21h.
Théâtre du Petit Saint-Martin
17 rue René Boulanger - Paris 10
Tél réservations : 01 42 08 00 32
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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