Enfant battu, vétéran de la guerre d'Irak, ancien agent du FBI, Joe est un produit de la violence des hommes. Cet ancien marine, mutique, torturé et brutal, vit avec sa mère très âgée, les fantômes de son passé et des pulsions suicidaires. Reconverti en homme de main, Joe est chargé par un sénateur de la côte Est de retrouver sa fille, Nina. Il s'agit d'exfiltrer l'adolescente d'un réseau de prostitution pédophile lié à d'éminents responsables politiques. Dans un New York interlope en pleine déliquescence, Joe est entraîné dans une spirale de violence.
Présenté à Cannes sous le titre You were not really here, A beautiful day est un objet cinématographique singulier récompensé par deux prix, celui du scénario et celui d'interprétation pour Joaquin Phoenix. Noirceur fangeuse et beauté plastique, ce drame psychologique doublé d'un polar ultra-violent entraîne le spectateur dans les arcanes d'une descente aux enfers hallucinatoire.
La réalisatrice Lynne Ramsay brouille les frontières entre inconscient et réalité dans une mise en scène virtuose à la sophistication visuelle pointue, à l'esthétisation si extrême qu'elle en tournerait presque à l'exercice formel autour du thème de l'abjection. Les longs plans contemplatifs sont interrompus par des explosions de violence auxquels se mêlent la projection d'images mentales générées par Joe. Barbu halluciné, dont l'arme favorite est le marteau, Joe se déplace dans un univers fantasmatique qui n'a plus grand chose à voir avec la réalité. Le personnage filmé comme une sorte d'esprit errant devient sous l'œil de la cinéaste, une entité surnaturelle hors du monde en proie à ses démons intérieurs.
La temporalité troublée par les flash-backs et les hallucinations, Lynne Ramsay fractionne l'action, s'autorise des ellipses audacieuses qui viennent souligner la puissance conceptuelle d'une oeuvre transgressive marquée par l'exigence artistique. Le malaise, véritable réaction épidermique, participe de l'expérience sensorielle d'un voyage introspectif à l'amplitude esthétique frappante. Lumière superbe, BO envoûtante s'affirment en contrepoint d'une atmosphère poisseuse où la violence se fait bain de sang jusqu'à la surenchère.
Plongée hypnotique et cauchemardesque dans la psyché torturée d'un être en quête paradoxale de rédemption par la violence, le film est largement cannibalisé par son interprète principal, Joaquin Phoenix impressionnant de présence écrasante. Personnage spectral de vengeur urbain habité par les ombres, massif, minéral, il livre une performance tout en intériorité, colosse brisé à la brutalité terrifiante.
Périple mystique au cœur des ténèbres, A beautiful day est un film aussi éprouvant que virtuose. Fascinant.
A beautiful day, de Lynne Ramsay
Avec Joaquin Phoenix Ekaterina Samsonov, Alessandro Nivola
Sortie le 8 novembre 2017
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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