A l'occasion des travaux d'extension menés au Museum of Modern Art de New York, sous la houlette de l'agence Diller Scofidio + Rerfo, la Fondation Louis Vuitton présente une vaste exposition regroupant deux-cents œuvres prêtées par l'institution new-yorkaise. Etre moderne : le MoMa à Paris se conçoit comme une plongée dans l'esprit d'un sanctuaire de l'art moderne dont la réouverture en 2019 préfigure déjà le musée du XXIème siècle. Cet événement initié par Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton, et Glenn Lowry, directeur du MoMa suit le principe originel constitutif du musée, celui d'un lieu somme à vocation didactique. Si La Nuit étoilée de Van Gogh, Les Demoiselles d'Avignon de Picasso ou La Danse de Matisse n'ont pas fait le déplacement jusqu'à Paris, nombre d'œuvres iconiques, ainsi que d'autres moins connues, sont du voyage. Parmi celles-ci beaucoup n'ont jamais été exposées en France tandis que certaines reviennent dans l'Hexagone pour la première fois depuis leur migration outre-Atlantique. Panorama des multiples facettes d'un musée qui compte dans ses collections plus de 200 000 œuvres, des premiers mouvements de l'art moderne jusqu'aux plus récentes créations numériques.
A l'instar des collections du MoMa, l'exposition qui se déroule à la Fondation Louis Vuitton s'attache à abolir toute hiérarchie entre un art considéré comme noble et un art plus populaire. Peinture, sculpture, architecture, affiche, photographie, cinéma, installation, œuvre numérique, toutes les formes de la création sont représentées offrant une idée de l'étendue des horizons artistiques couverts par le musée. La présentation des œuvres permet de mieux appréhender la manière dont le MoMa a conçu sa propre idée de la modernité, une question posée dès sa création en 1929 dont la trace se retrouve dans le célèbre diagramme récapitulatif imaginé en 1936 par son premier directeur Alfred H. Barr qui s'étend des précurseurs cubistes et fauves jusqu'à l'abstraction.
A la Fondation Louis Vuitton, l'accrochage répond au concept d'une ascension à travers les époques. Histoire de collectionneurs, de donateurs, le MoMa révèle peu à peu sa mission d'appréhension d'un monde nouveau par le biais de l'art. Les collections des musées américains se constituent selon une spécificité qui leur donne la possibilité de dessaisir de certaines œuvres afin de financer l'acquisition de nouvelles. L'achat des pièces dépend du marché, des moyens ponctuels, des goûts du conseil d'administration. Dans l'exposition Etre moderne : le MoMa à Paris, des salles dédiées à l'importante documentation issue des archives du musée retracent cette véritable épopée. Les erreurs d'appréciation y sont également évoquées sans fard ainsi que la façon dont le musée passant à côté de certains mouvements est parvenu à combler ses manques par des investissements ultérieurs.
Expérience sensible, l'exposition retrace l'histoire des collections pluridisciplinaires du MoMa, sanctuaire où a été inventé le concept contemporain d'art moderne. La première salle au caractère éclectique regroupe aussi bien L'Oiseau dans l'espace (1928) de Constantin Brancusi, Le Baigneur (1855) de Paul Cézanne considéré comme le précurseur de la modernité, L'Atelier (1927) de Pablo Picasso, la composition suprématiste, Blanc sur blanc (1918) de Kasimir Malevitch, ou encore La Maison près de la voie ferrée (1925) d'Edward Hopper seul américain présenté dans cette section. Une proportion qui va progressivement s'inverser après la Seconde Guerre Mondiale. La série des Etats d'âme (1911) d'Umberto Boccioni, Portrait de Félix Fénéon (1890) de Paul Signac, La Gare Montparnasse (1914) de Giorgio de Chirico, le triptyque Le Départ (1932) de Max Beckmann, les œuvres de Piet Mondrian, Ernst Kirchner, Henri Matisse, Paul Duchamp répondent aux photographies de Lisette Model, Eugène Atget, Man Ray, Walker Evans, Alfred Stieglitz, aux créations des affichistes de la Révolution russe, ceux de la guerre d'Espagne. Le court-métrage animé Steamboat Willie de Walt Disney acquis en 1936 par le MoMa est diffusé en parallèle d'extraits de films du cinéaste Sergueï Eisenstein.
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l'hégémonie politique des Etats-Unis fait basculer les équilibres. New York devient l'épicentre de l'art mondial avec la reconnaissance de l'expressionnisme abstrait puis du pop art et du minimalisme. Sur les cimaises de la Fondation Vuitton, la puissance expressive de Jackson Pollock, avec deux tableaux La Louve (1943), Echo : Number 25 (1951) trouve sa place aux côtés de l'iconique Woman I (1950_52) de Willem de Kooning, la pureté abstraite de Onement III (1949) de Barnett Newman, la splendeur méditative de Mark Rothko.
L'abondance d'œuvres présentées suggère les oppositions et les corrélations entre différents artistes, différents mouvements à travers le temps. En abordant le pop art et le minimalisme, les relations avec la société de consommation se font plus sensibles. Jasper Johns, Andy Warhol, Robert Rauschenberg, Roy Lichtenstein interrogent la multiplication des images, la profusion débordante d'un modèle auto-satisfait. Durant, la période des années 1960-70, le MoMa ancré dans un certain conservatisme passe à côté d'une partie des artistes de l'époque particulièrement ceux dont le travail est attaché aux luttes politiques et sociales. Les œuvres de Lygia Clark, Romare Bearden qui sont représentatives de ce discours de l'artiste engagé ont été acquises ultérieurement.
A la fin des années 1970, les collections du MoMa s'ouvre progressivement progressive aux scènes artistiques non occidentales, aux femmes artistes. Les œuvres reflètent des prises de position politiques et sociétales abordant des thèmes sensibles tels que la guerre du Vietnam, le sida. L'art africain-américain, comme le drapeau rouge et vert de David Hammons, trouve sa place dans les collections. Le fil critique ancré dans l'histoire actuelle se fait plus tendu tel que cette oeuvre de Cady Noland interrogeant sur le ton de l'ironie les marques du patriotisme américain ou encore Insurance de Cameron Rowland qui met en exergue l'implication de la compagnie d'assurance maritime Lloyd's qui assurait les navires de la traite des esclaves. September, de Gerhard Richter revient sur les attentats du 11 septembre. Ellsworth Kelly, Carl Andre, Yayoi Kusuma complètent un tour d'horizon résolument contemporain.
Les deux derniers étages s'attachent aux créations les plus récentes. Installations, performances, vidéo, arts numériques illustrent l'évolution de la politique d'acquisition du MoMa, sa pleine ouverture aux expressions plurielles, qui se fait engagement pour la création contemporaine. Affiche satirique de Barbara Kruger, Untitled (You Invest in the Divinity of the Masterpiece) 1982, installation d'Edward Krasinski, photographies de Jeff Wall, les 176 émoji dessinés par Shigetaka Kurita, le travail de Sherri Levine, Trisha Donnelly, La Toya Ruby Frazier, Kerry James Marshall concluent la démonstration magistrale de la diversité des pratiques artistiques actuelles. Janet Cardiff avec Motet à quarante voix, pièce sonore cerclée de hauts parleurs qui diffusent un chant polyphonique du XVIème siècle clôt l'exposition par une installation immersive dans la plénitude d'une expérience sensorielle.
Etre moderne : le MoMa à Paris jusqu'au 5 mars 2018
Fondation Louis Vuitton
8 avenue du Mahatma Gandhi - Bois de Boulogne - Paris 16
Liste des œuvres exposées pour la première fois en France : Oiseau dans l'espace de Constantin Brancusi (1928), Identical Twins, Roselle, New Jersey de Diane Arbus (1967), Boîtes de soupe Campbell d'Andy Warhol (1962), Tomb de Philip Guston (1978), Untitled (USA Today) de Felix Gonzalez-Torres (1990), 144 Lead Square de Carl Andre (1969), Untitled de Christopher Wool (1990), Untitled (You Invest in the Divinity of the Masterpiece) de Barbara Kruger (1982), et Patchwork Quilt de Romare Bearden (1970)
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Enregistrer un commentaire