Conservateur d'un grand musée d'art contemporain de Stockholm, Christian prépare activement la mise en place d'une nouvelle installation. Intitulée The Square, elle devrait inviter les visiteurs à s'interroger sur l'altruisme et la confiance entre les hommes. Christian en attend d'importantes retombées médiatiques. Ambitieux, séducteur, cynique, ce quadragénaire divorcé qui se voit en père modèle, a une haute idée de lui-même et flatte sa bonne conscience en revendiquant des idées humanistes et écologiques. Lorsqu'il est victime d'une mascarade montée par des pickpockets dans le but de lui dérober son portefeuille et son portable, le vernis se craquelle. Obsédé par l'incident, Christian en néglige la campagne de communication qui doit entourer la nouvelle exposition et laisse l'agence qu'il a engagé gérer le clip promotionnel. Celui-ci, diffusé sur Youtube, est d'une telle violence qu'il génère immédiatement l'opprobre et le scandale.
Satire du monde de l'art contemporain, critique de la bonne conscience des élites déconnectées de la réalité, interrogation sardonique sur l'égoïsme ambiant, The Square prend comme prétexte le déraillement d'une petite vie bourgeoise bien organisée pour explorer le malaise de notre civilisation.
Egratignant la bien-pensance et l'hypocrisie, d'un certain milieu aisé qui se prétend sensible aux enjeux climatiques et fustige les discriminations de tout genre, Ruben Östlund dénonce avec panache les arrangements mesquins de chacun avec leurs propres principes humanistes. La bienveillance de surface, le culte des apparences, l'arrogance de classe sont autant d'éléments qui possèdent en eux-mêmes un potentiel satirique. Afin de préserver leur dérisoire confort bourgeois, les protagonistes de cette farce sardonique se soumettent aux règles du jeu qui leur permettent de fermer les yeux sur la misère au coin de la rue.
Constat sans illusion teinté de misanthropie, The Square questionne les rapports de domination entre les individus dans un enchaînement de saynètes d'une cocasserie cruelle. Les séquences grinçantes, choquantes parfois, dénoncent les lâchetés inhérentes à la nature humaine. Les effets provocateurs se font néanmoins un peu trop démonstratifs et si l'humour à froid délectable sauve le rythme, quelques longueurs se font ressentir. La rigueur esthétique du film, sa composition tout en champs et contre-champs souligne la véritable virtuosité du réalisateur qui parvient à instiller une tension permanente jusqu'à l'effroi.
D'une cruauté radicale portée par une lucidité acide, le jeu de massacre se déroule dans l'ambiguïté d'une froideur stridente. En grattant sous le vernis de la respectabilité, Ruben Östlund, narquois, ausculte avec ironie la crise existentielle de notre société incarnée par son personnage principal.
The Square, de Ruben Östlund
Avec Claes Bang, Elisabeth Moss, Ruben Östlund, Terry Notary
Sortie le 18 octobre 2017
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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