Pablo Picasso, démiurge ogresque, fit sien tout ce qui l'entourait. Fasciné par les arts premiers dont il fut un grand collectionneur, il rejeta néanmoins fermement l'idée de leur influence esthétique sur son travail, revendiquant une parenté psychanalytique. Dans un entretien, il affirmait "L'art nègre ? Connais pas." Puis rajoutait "Il n'y a pas d'art nègre, mais une manifestation du génie humain qui, à la suite des circonstances, s'est exprimée et développée en Afrique." Véritable leçon d'histoire de l'art, l'exposition Picasso Primitif, scénographiée par Jean-Yves Le Fur directeur du patrimoine et des collections du musée du Quai Branly Jacques Chirac, porte un regard inédit les liens intimes qu'entretint tout au long de sa vie Picasso avec les arts extra-occidentaux.
Les trois cents œuvres présentées dont une centaine signée du génie Catalan forment un parcours foisonnant déployé en deux parties distinctes dont la première est chronologique et historique. Entre 1906 et 1907, Picasso découvre les arts premiers. Il est fasciné par un masque Fang du Gabon acheté par son ami André Derain à Maurice Vlaminck pour cinquante francs ainsi que par une statuette du Congo qui appartient à Matisse. Alors qu'il débute à peine les croquis de ce qui deviendra "Les demoiselles d'Avignon", Picasso visite le musée d'ethnographie du Trocadéro. Le choc qu'il éprouve devant les collections d'art premier est fondateur. L'évolution de son travail est alors spectaculaire, la mutation fulgurante.
Maîtrisant les techniques occidentales classiques, Picasso cherche à les dépasser pour rejoindre une forme d'expression plastique essentielle, primordiale, primitive affranchie de l'idée de représentation du réel. Métamorphose des corps, des figures, simplification des lignes au delà des concepts esthétiques, hybridation, la déstructuration de la figuration tend vers l'abstraction. Son exploration artistique devient questionnement plastique et psychanalytique. L'art viscéral, accessible et immédiatement compréhensible de tous, célèbre les pulsions élémentaires, exorcise les peurs, magie de vie, de mort, de sexe entre cauchemar et volupté.
Eclairant l'intimité du regard porté, documentation pléthoriques, archives variées, mettent en lumière les relations pérennes qu'entretint Picasso avec les arts premiers. Photographies, échanges épistolaire, pièces de la collection personnelle de l'artiste, clichés de ces œuvres dans les différents ateliers encombrés, notes biographiques illustrent un parti pris pédagogique. La seconde partie de l'exposition s'ouvre alors en ayant donné aux visiteurs toutes les clés de la compréhension permettant d'aborder l'ensemble sous l'angle anthropologie de l'art plutôt que simple constat de relation esthétique.
A cet égard, la scénographie transcende le concept de juxtaposition pour évoquer la complémentarité des œuvres liées par une même quête spirituelle, une même vitalité existentielle. Sculptures anthropomorphes tonga, masques krou, figures baoulé et mambila, coiffures cérémonielles du Vanuatu, figures à crochet de Papouasie Nouvelle-Guinée, tiki des îles Marquises, objets de rites, armes révèlent toute l'inventivité, la poésie des arts premiers.
Parmi les pièces des collections du quai Branly, pièces qui voleraient presque la vedette au géant de l'art du XXème siècle, les œuvres de Picasso semblent procéder du même enchantement vital inépuisable. Le trouble est tel, qu'il est souvent nécessaire de se pencher un peu plus pour les reconnaître les unes des autres. L'association libre repousse l'idée d'inspiration purement plastique pour se pencher sur l'idée de rencontre des processus créatifs.
Picasso se détache de l'esthétique occidentale classique. Il poursuit un mouvement de simplification formelle, de déconstruction du corps jusqu'à la monstruosité. A l'instar des artistes extra-occidentaux le plus souvent anonymes, il poursuit, à travers l'acte de création, un rituel incantatoire qui conjure le mauvais sort.
Le dessein sacré des artistes vise à s'approprier le réel en donnant forme aux terreurs aussi bien qu'aux désirs. Il tend vers un mouvement qui interroge le rapport de présence de l'oeuvre elle-même. C'est ici que se trouve le point de convergence, là que s'ouvre le véritable dialogue entre le travail de Picasso et la création d'Afrique, d'Océanie, des Amériques et d'Asie.
Picasso Primitif - Jusqu'au 23 juillet 2017
Musée du quai Branly Jacques Chirac
37 quai Branly - Paris 7
Tél : 01 56 61 70 00
Horaires : lundi, mardi, mercredi et dimanche de 11h à 19h, jeudi, vendredi et samedi de 11h à 21h
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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