Barbe Bleue - Amélie Nothomb : Saturnine Puissant, jeune étudiante belge à l'Ecole du Louvre, cherche une colocation quand elle trouve la perle rare dans les petites annonces : une chambre dans un hôtel particulier des beaux quartiers à un prix tout à fait modique. Le propriétaire, don Elemirio Nibal y Milcar, grand d'Espagne dont la famille a été contrainte à l'exil en France par un ancêtre qui traita Franco de gauchiste, est un original qui vit reclus chez lui, loin de la vulgarité du monde moderne. Très aisé, ce célibataire endurci loue cette chambre sans nécessité et uniquement à des jeunes femmes dans l'idée d'égayer sa solitude. Les huit précédentes colocataires ayant mystérieusement disparu, Saturnine est intriguée mais lucide quant à la véritable nature de son hôte. Elle n'hésite pas à profiter de l'aubaine. Si elle peut jouir de tout le confort de l'hôtel particulier, elle a cependant l'interdiction d'entrer dans une chambre noire spéciale. Don Elmirio entreprend de la séduire lors de longues conversations où coule le champagne.
Plaisir du détournement, jubilation de la relecture, Amélie Nothomb aime revisiter les contes de notre enfance. Dans cet opus savoureux, elle réinvente l'un de ses préférés le Barbe bleue de Charles Perrault, prétexte pour étudier la nature trouble du sentiment amoureux. Avec un personnage féminin fort, doté de beaucoup plus de cervelle que l'héroïne originelle, la romancière explore ce qu'il a de fascination et de mystère dans la rencontre de deux êtres singuliers qui partagent une forme d'étrangeté.
L'intrigue se déploie en forme de huis clos théâtral qui donne la part belle aux dialogues acérés. Cette extravagante guerre des nerfs est un véritable duel au sommet. L'art délicat de la conversation trouve sa plénitude dans ces joutes verbales ponctuées d'élégantes fulgurances, de trouvailles savoureuses comme autant de variations spirituelles sur l'amour, le couple, la mort, la religion.
Si l'histoire est marquée par l'inéluctable dénouement, la romancière trouve des excuses au monstre imaginé par Perrault car tout le monde a bien le droit d'avoir des secrets. Grain de folie douce, fantaisie gracieuse et situations incongrues, elle tisse un conte amoral à la fois truculent et glacé, délicieusement subversif. Style fluide, verve inventive et érudite, poésie teintée d'humour noir, champagne et naturel absolu du meurtre, nous sommes bien dans l'incomparable univers d'Amélie Nothomb.
Roman facétieux à la vivacité délectable, ce Barbe bleue mordant est tout à fait délicieux !
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Enregistrer un commentaire