Difficile parfois d’assumer ses origines. Régis Sauder, documentariste engagé, a fait parler de lui il y a quelques années avec Nous, princesses de Clèves, où il s’intéressait au rapport de lycéens d’une cité marseillaise au roman de la comtesse de la Fayette. En mars 2014, il s’indigne de la présence de Florian Philippot en tête du premier tour aux municipales de Forbach, à la frontière de l’Allemagne, où il a passé son enfance. Sauder a d’abord réagi en écrivant une tribune de colère dans Libération, où il revenait sur sa jeunesse difficile et expliquait que « les habitants de Forbach avaient bien mérité ce qui leur arrivait ». Le maire socialiste de la ville ayant finalement été réélu, Retour à Forbach est l’occasion pour l’auteur de se réconcilier avec son passé douloureux en revenant sur les lieux.
Le premier horizon suivi est celui des souvenirs de Régis Sauder, qui intervient pour la première fois en voix en off dans un de ses films. Le récit intime à la première personne rappelle par son esthétique le travail d’Alain Cavalier dans Le Filmeur ou Irène. De retour à la maison de ses parents, Sauder reconstitue avec minimalisme et efficacité les sensations de son enfance et adolescence. Le pouvoir glaçant de simples images de vestiaires vides, sur lesquelles le réalisateur raconte la violence qu’il a pu subir de la part de certains de ses camarades de classe, nous fait comprendre son rejet initial de Forbach. Pour lui, son avenir en tant qu’individu adulte et artiste ne pouvait s’écrire qu’en quittant ce milieu étouffant.
Mais le film s’ouvre assez vite sur les habitants de Forbach qui joignent leurs voix à celle de Sauder. C’est là l’essence du documentaire pour le cinéaste, « construire un rapport filmé à l’autre dans l’échange ». Il dialogue donc avec Flavia, amie d’enfance devenue directrice de l’école primaire, qui se souvient de la pauvreté dans laquelle elle vivait enfant dans des cités aujourd’hui rasées. Chérif, Mohamed et d’autres issus de la première immigration du Maghreb parlent avec rancœur de l’activité minière abandonnée et de ceux qui en ont profité jusqu’à faire du sol un gruyère avant de laisser les habitants à leur sort. Dans ce contexte moribond le Front National a trouvé un terreau fertile, comme l’explique une patronne de bar qui fait figure de chœur tragique et cite Le Seigneur des Anneaux.
Retour à Forbach est donc à la fois un récit autobiographique et choral, politique. Tourné entre 2014 et 2016, le film a été rattrapé par l’actualité avec les attentats du 13 novembre 2015 qui a conduit à la fermeture des frontières avec l’Allemagne. Cependant tout n’est pas perdu, et le retour de Sauder à sa ville d’origine l’amène à refuser le « destin funeste (…) annoncé ». Ponctué du rock métal de Forbach Deficiency, le film est pareillement empreint de douleur, mais aussi traversé d’élans d’énergie. Partant finalement de la colère et de l’incompréhension pour finir sur un mouvement d’apaisement et de renaissance, Sauder nous laisse sur les images d’une jeunesse qui aux côtés de Flavia représentent un espoir, un rempart possible contre le nationalisme et la xénophobie.
Retour à Forbach de Régis Sauder
Sortie le 19 avril 2017
Cinéphile averti, Didier Flori est l’auteur de l’excellent blog consacré au cinéma Caméra Critique que je ne saurais trop vous conseiller. Egalement réalisateur et scénariste, c’est avec ferveur qu’il œuvre dans le cadre de l’association Arte Diem Millenium qui soutient les projets artistiques de diverses manières, réalisation, promotion, distribution… Style ciselé, plume inspirée et regard attentif, goûts éclectiques et pointus, ses chroniques cinéma révèlent avec énergie toute la passion pour le 7ème art qui l'anime.
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