Années 70, banlieue pavillonnaire de Londres. Beverly a organisé un apéro dînatoire entre voisins, un excellent prétexte pour rencontrer le jeune couple qui vient d'emménager dans le quartier. Il s'agit d'Angela, jolie fille volubile et un peu cruche, infirmière de son état, et d'Antony, ancien joueur de foot reconverti dans la maintenance informatique, beau gosse rustique à qui sa femme ne laisse pas placer un mot. Hôtesse survoltée, Beverly trouve ici l'occasion de briller et d'être au centre de toutes les attentions. Elle horripile déjà son mari, Peter, un agent immobilier épuisé par son travail qui se serait bien passé de cette sauterie à domicile. Les deux couples sont rejoints par Susan, la voisine divorcée qui vit seule avec ses enfants, dont l'aînée, Abigail, organise une "party" entre adolescents. Echanges de futilités, frivolité forcée, sur l'insistance de Beverly l'alcool coule à flot. Et tout ce petit monde tente de se convaincre qu'il s'amuse sous la houlette crispante d'une maîtresse de maison aussi empressée que tyrannique. Peu à peu les masques tombent. C'est la débandade des faux semblants.
Adaptation française d'une pièce du cinéaste Mike Leigh, la comédie de mœurs tourne au jeu de massacre entre situations étranges, tensions et frustrations, névroses et drames intimes. Satire de la classe moyenne britannique ayant accédé à la société de consommation dans les années 70, Abigail's party interroge la médiocrité satisfaite dans laquelle se complaisent ces petits-bourgeois obnubilés par des biens matériels. En contrepoint de la farce survoltée, l'auteur délivre un message politique au sujet de l'aliénation des classes moyennes et du statut de la femme. Conversations parodiques, tensions entre les couples qui se balancent des vacheries l'air de rien, les dialogues ne disent pas grand chose mais dévoilent la vacuité des personnages, les caractères par petites touches acides et subtiles.
Alors que craquelle le vernis des conventions sociales, apparences lisses et savoir-vivre douteux d'une hôtesse dépressive, les défaites à être se révèlent sous les abords burlesques, les outrances réjouissantes d'un style grinçant. Théâtre de situation cruel, causticité radicale so british, la comédie satirique tourne à l'aigre, glisse progressivement vers quelque chose de plus grave alors que les rires font place à la consternation. Beverly qui a abusé du gin et ne se contient plus vraiment flirte avec Antony, Antony révèle une violence à peine contenue et recadre brusquement Angela, Peter, agacé que Beverly se donne en spectacle, laisse poindre un certain mépris pour son épouse, Susan assiste gênée à ce débordement de vulgarité avinée.
Thierry Harcourt conduit la mise en scène sur un rythme enlevé donnant la part belle à l'interprétation, chorégraphie au cordeau des comédiens. Ses choix de composition le porte dans une direction un peu différente de l'original créé par Mike Leigh en 1977. Plus sensuelle, la proposition est également plus énergique, plus stridente. Les comédiens qui incarnent avec conviction ces personnages à la dérive forment un tableau saisissant, entre déliquescence du couple, ennui marital et hystérie des frustrations rentrées. Chacun à leur façon tisse leur personnage sur un canevas excentrique qui peu à peu se déchire pour faire place à l'amertume et à la détresse. Une pesanteur psychologique qui contraste avec l'esthétique seventies appuyée du décor pensé par Marius Strasser, bakélite, couleurs flashy qui piquent. Les années 70 bercées par Julio Iglésias et Elvis Presley revivent dans toute leur extravagance sur le plateau du théâtre de Poche Montparnasse. Cadre formidable que viennent compléter les costumes imaginés par Jean Daniel Vuillermoz joyeusement kitsch, pattes d'éph et imprimés psychédéliques improbables, particulièrement réussis.
Adaptation Gérald Sibleyras
Mise en scène de Thierry Harcourt
Avec Alexie Ribes, Séverine Vincent, Cédric Carlier, Laura Suyeux, Dimitri Rataud -
Du mardi au samedi à 21h et le dimanche 15h
Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse - Paris 6
Tél : 01 45 44 50 21
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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