Longtemps en marge des courants de l'art américain, exilé en Italie depuis la fin des années 50, Cy Twombly a suscité de nombreuses interrogations. Ce grand voyageur attiré par les contrées solaires telles l'Afrique du Nord, la Grèce, a développé de profondes affinités avec la culture européenne classique, Homère, Virgile, Mallarmé, Valéry. Confrontant abstraction et figuration, antiquité et modernité, son oeuvre savante marquée par la psychanalyse et le primitivisme, lance un pont entre deux continents, entre deux sensibilités. A la fois héritier de l'expressionnisme abstrait américain et disciple des maîtres classiques à qui il rend souvent hommage, Twombly a su par le biais d'un vocabulaire contemporain mêler l'histoire antique à l'actualité, l'assassinat de Kennedy, la guerre en Irak à l'Iliade et la mythologie gréco-romaine. Si son travail pour être parfaitement compris nécessite des mines de connaissances, ces toiles empreintes d'une énergie irrépressible et d'une violente sensualité laissent place à l'émotion qui les rendent accessibles à tous. Jusqu'au 24 février, le Centre Pompidou accueille la première rétrospective complète de l'artiste américain Cy Twombly (1928-2011).
Distribuée autour de trois cycles monumentaux, Nine Discourses on Commodus (1963), Fifty days at Iliam (1978), Coronation of Sesostris (2000), la rétrospective suit le développement des grandes séries produites par Cy Twombly. "Peintre abstrait qui raconte des histoires" selon le commissaire de l'exposition Jonas Storsve, l'artiste séjourne en 1951 au Black Mountain College, lieu d'échanges et de rencontres de l'avant-garde new-yorkaise. L'art est alors dominé par l'expressionnisme abstrait américain, l'action painting de Jackson Pollock, Willem De Kooning, Franz Kline, un art du geste puissant, du mouvement, de l'explosion colorée.
La première phase du travail de Twombly se construit en réaction à cette hégémonie picturale. Brutalité initiale, il répand sur la surface de la toile des peintures industrielles, essentiellement du blanc et du noir. Il obtient des effets dégoulinants, volontairement sales et épais qui marquent son désir de rompre avec ses aînés et tournent en dérision la pratique du dripping.
A la suite de cette violente rébellion contre les pères, Cy Twombly s'oriente vers une légèreté des lignes grises sur fond clair. Se privant de repère visuel, il trace des dessins dans le noir à la mine de plomb, griffant le blanc de la toile, insérant motifs illisibles et pictogrammes à caractère sexuel qui évoquent les graffitis de lieux mal famés.
Ecriture tremblée, raturée au crayon pastel gras, les mots sont utilisés comme une texture graphique qui complète la virulence et le dynamisme du tracé. Surfaces blanchâtres maculées de tâches et de couleurs, suite de chiffres, traces de doigts, de main, de chiffon passé sur la surface, le geste se refuse illustratif sans pour autant être tout à fait abstrait. Les crayonnages indéchiffrables parcourent des lignes nouées et dénouées dans un espace qu'équilibre la composition en quête d'expressivité.
Ses oeuvres sur toile et sur papier mêlent peinture, couleurs projetées, étirées, laminées, et collages qui fragmentent l'espace. Signes, écriture, volutes de couleur, gribouillis comme des fragments inachevés questionnent la place de l'écriture dans la pratique plastique de Cy Twombly marquée par de nombreuses références littéraires. L'impression de dispersion et d'inachèvement souligne la désinvolture maîtrisée entre bribes et fulgurances d'une aridité formelle, un dénuement déconcertant.
Alors que les titres de ces toiles renvoient à la profusion d'une culture classique composée de mythologie gréco-romaine, d'histoire antique et d'hommage aux grands maitres tels Poussin, Raphaël, Monet, la réalité plastique de l'oeuvre soulève un paradoxe fort, une ambivalence énigmatique. L'exposition éclaire ce travail grâce à la composition du parcours qui offre une vision précise et complète de l'oeuvre et de la vie de Twombly. Nombreuses notes biographiques et sélection des pièces présentées participent au processus de dévoilement et d'appréhension raisonnée de la démarche.
Au cœur de l'exposition, un long podium évoque un pan méconnu de son oeuvre. Les sculptures-assemblages sont composées de bouts de bois, de branches, d'objets de récupération et divers débris, sorte de butin de guerre récupéré sur une plage après un naufrage que l'épais badigeon blanc dont il est recouvert semble transformer en ruine antique.
Après avoir poursuivi un processus de destruction de la peinture, de délitement de la représentation expressionniste abstraite, les trois dernières décennies du travail de Cy Twombly paraissent rythmées par un retour à l'intensité des gammes chromatiques, rouge vermillon, jaune éclatant, vert gazon et l'évocation de la peinture gestuelle qui renvoie aux "Nymphéas" de Monet.
Le graphisme marqué par des maladresses volontaires marque un renouveau qui s'approche des conceptions picturales des maîtres. Le bleu liquide des Nymphéas de Twombly entre en écho avec la composition presque florale de Summer Madness (1990) tandis que les ultime Bacchus entrelacs sanglants dansent la guerre et la violence.
Cy Twombly, rétrospective
Du 30 novembre 2016 au 24 avril 2017
Horaires : Tous les jours sauf le mardi - De 11h à 21h - Nocturne jusqu'à 23h tous les jeudis
Centre Pompidou
Place Georges Pompidou - Paris 4
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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