Le poivre - Olivier Bouillère : 1993. Lorraine Ageval, actrice et chanteuse, a interrompu sa carrière pendant quinze ans pour un mariage avec le sulfureux homme d'affaires Renaud Devilers dont la première épouse a mystérieusement disparu. Pour faire face à un divorce compliqué, elle s'est réfugiée dans la maison du Bassin d'Arcachon de ses amies d'enfance, Hélène et Douce Brissay rejetonnes d'une grande famille désargentée. Interprète de films magistraux, La Reine Visage, Grand Large ou de gentils nanars, S comme espionne, La Comtesse en moonboots, la star des années 60, toujours belle à cinquante-trois ans cherche de nouvelles raisons de poursuivre sa route, de retrouver sa place dans le monde qu'elle a fui, dont elle s'est volontairement éloignée. Si elle entretient peu de contacts avec Grégory, son fils issu d'une première union, elle se lit d'amitié avec Iohan, un jeune homme de dix-sept ans un peu paumé qui préfère les garçons et lui voue une admiration inconditionnelle. Benoît Cazot, cinéaste expérimental, réalisateur de Piano pour gaucher, un film-miroir, lui propose un rôle pour revenir à l'écran.
Spleen, aura fanée, nostalgie d'une époque révolue, Le poivre est teinté d'une profonde mélancolie. Roman onirique plongé dans les brumes, en demi-teintes, Olivier Bouillère signe un texte au croisement des chemins dans lequel des personnages solitaires, naufragés s'interrogent sur le grand mystère de l'existence. Femme à la dérive, Lorraine représente la fin d'un monde, l'extinction des étoiles. L'ombre de la mort dans un bruissement d'ailes annonce la défaite des corps. Ce songe obscur peuplé de fantasmes et de fantômes est traversé de lumineux instants comme des éblouissements.
Dans le flottement des limbes, les souvenirs du bonheur, les réminiscences des sensations heureuses éclairent un chemin de chagrin et de jouissances ultimes. Tandis que le temps qui passe use tout irrémédiablement, la volonté de vivre encore et le désir charnel s'opposent à la maladie et à la mort. Plume précise, sensualité torride, féroce, musicalité éblouissante, ce roman fait songer à ceux de Sagan, Pasolini, Mort à Venise de Thomas Mann et à sa suite Visconti. Troublant, élégant, parfois très cru, au mystère se mêle la précision sensible et la virtuosité.
Explorant le rapport au temps, ce livre précieux dresse un constat terrible au sujet de la nature humaine. Oeuvre radieuse et poignante, roman limpide et poétique, Olivier Bouillère scrute avec intensité les dernières lueurs du jour, le dernier brasillement des astres avant la plongée dans les ténèbres.
Le poivre - Olivier Bouillère - Editions P.O.L - Prix Françoise Sagan 2012
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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