Cinéma : Happily ever after, de Tatjana Božić



Flamboyante réalisatrice, journaliste et artiste croate, Tatjana Božić, la quarantaine bien sonnée, rencontre des difficultés avec son mari hollandais. Devant le déclin de son couple, cette éternelle amoureuse s'interroge : pourquoi ses histoires d'amour finissent-elles mal en général ? Alors qu'elle a toujours documenté les étapes de sa vie, filmant le réel pour mieux se l'approprier, elle décide de partir à la rencontre des cinq hommes qui l'ont profondément marquée afin de leur poser la question et découvrir leur point de vue sur les liens qu'ils ont entretenus. De la Russie à la Pologne en passant par l'Angleterre, elle s'embarque, caméra à la main, dans un road movie amoureux un peu maso pour des retrouvailles avec des amants qui ont pris un sacré coup de vieux mais se prêtent volontiers au jeu.








Documentaire singulier, sur les traces de ses grandes histoires, Tatjana Božić fait la tournée européenne des ratages amoureux. Le postulat original tient du protocole cathartique, du domaine de la psychanalyse. Ce dispositif qui fausse la réalité tout en cherchant la sincérité permet de dresser en creux l'autoportrait truculent d'une excentrique, une personnalité touchante en quête d'elle-même à travers l'autre. Cette femme moderne au caractère bien trempé plonge dans son passé avec beaucoup d'humour et d'autodérision. Alors que la question originelle était plutôt "qu'est-ce qui a dérapé entre nous ?", la réalisatrice se trouve presque malgré elle confronté à la vraie question du film "qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?"

Joyeusement nombriliste, savoureux, drôle et souvent foutraque, Happily ever after fait la part belle à l'émotion, la tendresse et la nostalgie. La réalisatrice raconte de façon très atypique, toujours avec légèreté, sans sombrer dans le pathos, sa vie affective qui semble sans issu, ses problèmes de couple et son désespoir de ne pas y arriver, de ne pas correspondre à l'image d'Epinal enfoncée dans le crâne de toutes les petites filles par la société. En parallèle de chaque rencontre, Tatjana Božić documente son propos d'images d'archives de ses jeunes années en compagnie de ces hommes, comme si la caméra avait toujours été un écran lui permettant la mise à distance de sa propre vie. Les témoignages des femmes de sa famille, et particulièrement celui d'une amie féministe, apportent un écho universel qui résonne puissamment.




Le concept de vidéo-vérité, marqué par une esthétique réaliste un peu moche, une certaine complaisance à montrer son mari, un monsieur tout le monde qui n'en demandait pas tant, très dénudé - c'est le regard de l'amoureuse, elle le trouve magnifique, elle veut le montrer - est contrebalancé par le réflexe de montage de la réalisatrice télé qui met en scène les moments d'émotion des retrouvailles d'une façon un peu cucul. A moins de ne succomber au parti pris de l'empathie pour cette femme, ce mode intime mal léché irrite parfois surtout lorsqu'elle nous plonge dans les horripilantes querelles de couple sur des sujets essentiels comme éteindre la lumière en sortant d'une pièce.

Seule même quand elle est en couple, amoureuse de l'amour plus que des êtres eux-mêmes, Tatjana Božić est en réalité en quête d'elle-même. Elle signe ce documentaire comme une ode à la liberté, celle d'être fidèle à ce que l'on est.  

Happily ever after de Tatjana Božić
Sortie le 3 février 2016



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.