La septième fonction du langage - Laurent Binet : 1980. A la mort de Roland Barthes,
renversé par une camionnette de blanchisserie en sortant d’un déjeuner avec
François Mitterrand, le commissaire
Jacques Bayard, un flic bourru de droite s’adjoint d’office les services d’un
jeune prof de fac chevelu recruté à l’Université de Vincennes, Vincent Herzog,
pour mener l’enquête sur les conditions de cet accident. Barthes avait en sa
possession un document explosif du linguiste russo-américain Roman Jakobson, auteur
de la théorie des six fonctions du langage. S’agirait-il d’un meurtre ? Un
assassinat politique à la veille des élections présidentielles de 1981 ?
De la Sorbonne au Café de Flore, en passant par les milieux interlopes de la
nuit, le duo improbable d’enquêteurs, mandaté par le président Giscard, part à
la recherche du coupable, suivi de près par les services secrets soviétiques et
l’inquiétante filière bulgare. Ils croisent au hasard de leurs pérégrinations, Lacan,
Baudrillard, Umberto Eco, Philippe Sollers et Julia Kristeva, Bernard-Henri
Lévy, Mitterrand, Giscard et leurs acolytes. Tous cherchent à mettre la main
sur le mystérieux document qui fait frémir la French Theory, Foucault, Deleuze,
Derrida, Althussen. L’idée d’un complot de l’intelligentsia internationale s’impose
peu à peu lorsque Bayard et Herzog se mettent sur la piste d’une société
secrète, le Logos Club, sort de Fight Club du duel oratoire où la défaite lors
de joutes rhétoriques peut coûter cher au perdant. Rififi chez les
structuralistes.
Jeu de massacre truculent de
Paris à Milan, Bologne, Venise et Ithaca, jouant sur les archétypes du roman
noir, Laurent Binet rend hommage au Nom de la Rose d’Umberto Eco paru en 1980. Dans
La septième fonction du langage, polar sémiologique, politico-philosophique, il
reprend avec malice des codes, course poursuite, assassinats, rebondissements
rocambolesques, jolies pépés et humour qui nous font songer aussi bien à San
Antonio qu’à OSS117, pour pousser la réflexion sur le langage comme fondement
du pouvoir politique. Haletant et érudit, si la première partie est brillante, le
rythme s’essouffle un peu dans la seconde, un peu moins réussie.
Laurent Binet convoque les plus
brillants intellectuels des années 80 qu’il met en scène dans des situations cocasses
et improbables, ponctuant les dialogues de propos véritables, mêlant allégrement
faits historiques, faits divers et inventions. L’auteur épingle les
personnalités avec bonheur, caricaturant, irrévérencieux mais désopilant, un
milieu intellectuel narcissique dans lequel s’impose insidieusement le triomphe
de la figure médiatique. Féroce et tendre, il n’a pas à forcer beaucoup la
satire pour transformer cette engeance en personnages romanesques épatants au
point que l’œuvre fait parfois penser à une blague potache de normalien très
réussie.
Fiction échevelée, alliant rire
et gourmandise intellectuelle, au cœur de cette œuvre la sémiologie, la science
des signes dans le langage et le comportement, « le monde dans sa
globalité comme un ensemble de faits signifiants » semble nous livrer la
clé du pouvoir des mots. Laurent Binet se pose en iconoclaste, héritier malicieux
refusant de mythifier les grands intellectuels des années 80. Jubilatoire, enlevé,
hilarant.
La septième fonction du langage - Laurent Binet - Editions Grasset - Edition de poche Le Livre de Poche
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