Lundi Librairie : Journal d'un corps - Daniel Pennac



Journal d'un corps - Daniel Pennac : En revenant de l’enterrement de son père décédé en 2010 à l’âge de 87 ans, Lison, la fille du narrateur, a reçu par voie de notaire un étrange héritage. De septembre 1936, à l’âge de 12 ans, jusqu’à octobre 2010 quelques jours avant sa mort, celui-ci a tenu par le menu un journal singulier. Délaissant, la mémoire classique des vagues à l’âme, il y raconte l’histoire de son corps de l’adolescence au grand âge. Enfance chétive auprès d’une mère castratrice, hantée par le souvenir d’un père vétéran de la Première Guerre Mondiale marqué dans sa chair, érudit valétudinaire, homme tendre dépossédé de son épaisseur physiologique, le conteur s’interroge sur la dimension physique de son existence. Comment il s’est incarné en se construisant un corps, en se construisant une image. Présence libératrice de Violette, aimante nourrice au grand cœur et au bon sens paysan, épanouissement du jeune homme, découverte de la sexualité, rencontre avec Mona, la femme de sa vie, maturité et lente déliquescence de l’âge, ce journal impudique, dénué de fausse pudeur, prend la forme d’une ode reconnaissante envers ce vaisseau de chair, compagnon de toute une vie que la bienséance sociale voudrait passer sous silence.

A travers ce recueil des sens, Daniel Pennac touche à l’intimité universelle. Souvenirs d’un être et de ses métamorphoses organiques, ce livre grave et malicieux, évoque sans tabou les choses de la vie dans leur complétude, bienveillante observation du corps comme une révélation de l’intime au plus près de la chair. Ambitieux et émouvant, ce Journal passe sous silence les grands événements, la guerre et la Résistance, la réussite sociale, les sentiments, pour se concentrer sur les bobos et les maux plus graves d’une existence, les turpitudes d’un organisme entre défaites et conquêtes, bonheurs et souffrances, désir et plaisir.

Plume souple, fluide et sincère, les anecdotes pleine de drôlerie possèdent une dimension rabelaisienne jubilatoire. Au fil de la narration vagabonde marquée par l’acuité du regard et la sagacité ironique du narrateur, on rit avec lui des peurs, de la souffrance, on se réjouit des bonheurs que ce corps nous apporte tout en scrutant les angoisses intimes si loin si proches. Abordés avec humour, l’exultation de la jeunesse et le naufrage de la vieillesse, les renoncements, les défaillances, laissent transparaître en sous-fil une certaine hypocondrie de l’auteur qui parle avec une grande liberté salvatrice du sexe, de la jouissance, de la maladie et de la mort. Mystère de l’incarnation, Journal d’un corps nous fait sentir plus humain. Un roman touchant, empathique, universel.

Journal d’un corps - Daniel Pennac - Editions Gallimard - Collection de poche Folio