Le train zéro - Iouri Bouïda : Une gare perdue au fin fond de la Russie, dans la boue, le froid, les  relents de chou et de vodka. Et toutes les nuits, un train qui passe.  Nul ne sait d’où il vient, où il va, ni ce qu’il transporte. L’ombre  effroyable de la déportation rôde. Dans ce no man’s land  isolé du reste du monde, vivent des gens qui s’aiment, espèrent, tuent  et agonisent empoisonnés par le doute, par un secret qui leur est interdit  de chercher à connaître sous peine de mort. 
Bref récit au verbe épuré à l'extrême, d'une sincérité naturaliste troublante, ce roman se rapproche du poème en prose. L’auteur sensible aux petits faits quotidiens, aux odeurs caractéristiques, aux sons de la vie des gens du rail dresse un tableau qui se fond dans des camaïeux de gris. Le réalisme accentué jusqu'aux minuscules détails de la vie qui n'en n'est pas vraiment une, exalte la lente et insidieuse montée de l’angoisse. Les mois, les années passent et les personnages se rendent compte petit à petit qu’il en sera toujours ainsi. Une éternité de néant.
Les  rêves, les espoirs s’atrophient au même titre que les individus rongés  par le Temps. C’est l’attente pure jusqu’à la mort ou bien de la mort  elle-même symbolisée par le train zéro ; car c’est elle qui donne un  sens à l'existence. Le lieu même, la steppe n’est qu’espace de mort. L’auteur  la décrit admirablement. Territoire rugueux aux contours mal définis,  domaine des chimères et de la peur. Nulle terre promise n’attend le  voyageur.
L'histoire se déroule à l’époque du déclin stalinien. La Station Neuf est  une métaphore saisissante de cette dégénérescence, une ode tragique à l'existence des oubliés du système. A  l’horizon étriqué des destinées personnelles, aux certitudes myopes d’un  certain réalisme, l’auteur oppose les grandes étendues de l’angoisse,  le pouvoir créateur des rêves, des illusions, les vertigineuses  questions qui habitent le cœur des hommes. Plus que l’histoire de vies gâchées, Le train zéro est une réflexion lucide sur l’idée de la mort, la déliquescence d’un  régime. Ce roman relève de la même veine mystique que Le Désert des Tartares de Dino Buzzatti.
Le train zéro - Iouri Bouïda – Editions Gallimard du Monde Entier - Traduit du russe par Sophie Benech - Edition de poche L'imaginaire Gallimard
 
 


 




 
 
 
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