Nada exist - Simon Liberati : A presque cinquante ans, Patrice Strogonoff, peintre raté qui s’est reconverti dans la photo de mode, côtoyant célébrités et demi-mondaines, nihiliste décadent, cocaïnomane à la virilité fatiguée, n’est plus que l’ombre de lui-même. Sa carrière déclinant, il s’est réfugié dans le Loiret où il vit dans un ancien pensionnat de jeunes filles avec sa mère et son beau-père, maurrassien sénile, Ahmed dit l’Arabe, toxico maniaco-dépressif qui fût en son temps l’amant de Pasolini et Didine, agonisante, la femme de sa vie qu’il n’a jamais épousé, ancienne rédactrice en chef de Vogue. La veille de Noël, il tente de fuir cette tribu ubuesque dans son Aston Martin de 1973, afin de se réapprovisionner, à Paris, en substances diverses ainsi que rendre visite à ses maîtresses, la très bourgeoise Lukardis et Babeth, la vénus mercenaire, mannequin styliste à ses heures. La voiture tombe en panne. Louvoyer entre sa mère et celui qu’ils appellent joli-papa, pour s’en débarrasser lui prend une éternité. Même faire le plein d’essence avec une gueule de bois et les premiers symptômes de manque devient un vrai supplice.
Dans un long monologue intérieur qui se déroule sur cinq heures, le lecteur suit le flux de la conscience et du souvenir de cet anti-héros plutôt pathétique entre vacuité assumée, digressions extravagantes, modulations sulfureuses de l’ordure à la grâce. Style baroque, plume élégante et cruelle, humour dévastateur, Simon Liberati nous livre un mode d’emploi sur le thème comment rater pleinement sa vie. D’un trait précis, il trace le portrait à charge, tableau vivant immobile, d’un homme symbole d’une époque, d’un certain milieu.
Peintre de la décadence, l’auteur détaille un cabinet de curiosités humaines, passant à la loupe les corruptions de l’âme avec un sens de la dérision proche du cynisme. Texte dense, ambitieux, cette chronique vénéneuse placée sous les sombres auspices d’un hédonisme exacerbé, se lit avec la curiosité perverse qui anime les spectateurs de freak shows. La vie décevante par essence est un périple tragi-comique au bout duquel ne nous attend que la mort, les souvenirs épars du bonheur que nous n’avons pas su reconnaître, pour seule consolation.
Séduction suave, déchéance dans une atmosphère hallucinée sous influence, ce roman crépusculaire, à la fois ciselé et foutraque, désabusé et lumineux, oscille entre répulsion et fascination. Nada exist donne libre court au chaos des existences, aux raffinements mélancoliques, vaguement faisandés, des trajectoires déglinguées.
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