Asiles de fous - Régis Jauffret : Gisèle, sans emploi depuis deux ans, tourne en rond dans l’appartement que Damien son compagnon vient de quitter, comme tous les matins, pour aller travailler. Le père de celui-ci passe à l’improviste pour changer un robinet et lui annonce au passage que son fils l’a quittée après cinq ans de vie commune, qu’il ne reviendra pas, qu’il ne faut pas en faire un drame. Par contre il serait fort utile qu’elle l’aide à empaqueter ses affaires et à démonter l’armoire normande qu’il leur avait offerts et qu’il compte bien récupérer.
A travers le récit d’une rupture et de la folie ordinaire qui étreint les protagonistes de ce livre, Régis Jauffret met à jour l’effroyable trivialité rampante qui se dissimule sous le masque de la banalité. Roman polyphonique donnant la parole tour à tour à une Gisèle apathique, un père faussement bonhomme tout à fait lâche, une mère abominable, un Damien révoltant de veulerie, Asiles de Fous révèle les dessous de la famille bourgeoise, l’ambiguïté qui la fédère mais également les vérités hideuses sur l’être, la filiation, les sentiments. Monologue échevelés et emploi du conditionnel font dériver le lecteur entre réalisme et schizophrénie. Ce petit théâtre des horreurs intimes nous entraîne à un rythme effréné au son de la musique singulière des mots de Régis Jauffret, un flux haletant, à perdre haleine, syncopé, un flot boueux qui nous laisse désorientés, hagards.
L’habile construction par strates de ce roman, architecture ciselée qui rappelle celle du psychisme humain, expose le cœur de la famille, foyer de toutes les névroses, source des secrets les plus honteux, des mesquineries les plus misérables. L’auteur maîtrise l’art délicat de pénétrer les esprits, de donner corps sans concession à des personnages dans toute leur banalité s’appuyant à la fois sur leur dimension burlesque et sur les proportions horrifiques de la médiocrité humaine. Vision glaçante de l’autre, notre semblable si proche et si lointain, ce reflet de nous-mêmes au combien dérangeant.
Ce style implacable, incisif, l’écriture trépidante, obsédante, obsessionnelle au service du détail qui vrille, pousse le lecteur dans ses retranchements, transe hallucinée, hoquetante et délétère. Sous la plume de Régis Jauffret à l’aune d’un humour noir grinçant, le monde apparaît sous une lumière inquiétante, sombre comme les secrets d’alcôves, d’une absurdité aberrante, révoltante.
Moins violent que Clémence Picot ou Promenade que j’avais d’ailleurs alterné pour reprendre haleine avec La route du retour de Jim Harisson, ascenseur émotionnel entre claustrophobie urbaine et grands espaces, probablement plus abordable également, Asiles de fous est une âpre incursion tragi-comique dans les méandres torturés de l’esprit et l’oppressante réalité des délires domestiques.Un roman au vitriole dont la pirouette finale est l'ultime aiguillon.
Enregistrer un commentaire