Jayne Mansfield 1967 : Simon Liberati compose un requiem pour Jayne Mansfield, star de cinéma disparue à l’âge de 34 ans, dans un accident sur une route de Louisiane, au volant de sa Buick bleu métallisé, broyée par un semi-remorque. Le livre s’ouvre par de longues pages minutieuses dans lesquelles il entraîne le lecteur sur la scène de l’accident, position voyeuriste, le faisant assister à la désincarcération de la voiture encastrée dans le 50 tonnes. Dans l’épave des chihuahuas, trois enfants sains et saufs, deux hommes décédés, des perruques platine, du whisky et le corps supplicié de la playmate dont le crâne a été atrocement mutilé lors du choc. Il ne révèle son identité qu’un peu plus loin dans le récit. Liberati livre une description crue, clinique de cette scène effroyable qu’il compose à partir des rapports de police, des dépositions des témoins, des notes techniques des secouristes.
Le récit à rebours révèle l’itinéraire tragique de cette blonde plantureuse, star déchue avant même d’avoir connu la consécration. Jayne Mansfield que l’on pose alors en rivale de Marilyn Monroe, n’a tourné que des navets, incarnant la dumb blonde par excellence malgré son QI de 163. De mariages ratés en relations houleuses, cinq enfants de trois pères différents, elle fait les choux gras de la presse à scandale, plus célèbre pour ses frasques que pour ses prestations d’actrice. Pour atteindre cette gloire infondée, aucune de ses prestations ne justifiant sa reconnaissance, elle joue un personnage jusqu’à devenir celui-ci, caricature d’elle-même, pour combler le vide, remplir son rôle. Si elle réussit seule à force de volonté et de compromissions, elle sombre rapidement dans le mauvais goût, la drogue, les névroses, devenue une bimbo triviale, attraction de foire qui se produit dans des cabarets sordides, à la fois vulnérable et retorse, kitsch et raffinée dans ses goûts culturels, intelligente et manipulée. Sur fond de guerre du Vietnam et émergence mouvement hippie, Simon Liberati esquisse le portrait d’une star perdue entre addictions, névroses, amants violents et faune interlope.
Cet étrange objet littéraire n’est ni une biographie, ni un essai. Jayne Mansfield est inscrite au panthéon personnel de l’auteur, fétichiste des décadences. La fascination qu’il entretient pour cette femme le pousse à rédiger un hommage en forme de réhabilitation. A l’image de la blonde idiote, mièvre et kitsch de façade, il oppose une personnalité bigger than life, obsessionnelle, intrépide, dont les faiblesses et l’impudence hardie n’ont d’égales que son opiniâtreté et son intelligence. Simon Liberati trace par touches un tableau crépusculaire composé d’anecdotes se déroulant pendant les derniers mois de son existence. A travers les pages et les épisodes, fragments de vie, comme les pièces d’un plus vaste puzzle, la figure humaine de l’actrice s’anime. L’occasion pour l’auteur de revenir sur ses thèmes esthétiques favoris : raffinement de cruauté, obsession des détails, décapitation (mythe lié à l’accident.)
D’un style épuré à l’extrême pour ne pas en rajouter au sujet d’une star déjà fort tapageuse, Liberati procède à l’inventaire, maîtrisant avec art le fil narratif, faisant preuve d’un sens aigu de la dramaturgie. Prose élégante, phrases incisives, précision obsessionnelle du détail, il livre une réflexion désenchantée sur le tournant des années 60, la perte de l’innocence. L’obscénité du culte des apparences et le vertige des gloires préfabriquées nous ramènent à des méditations très contemporaines. Ironique et cruelle chronique d’un sex-symbol brisée par une usine à rêve à bout de souffle. L’aura et le glamour ne sont que les pendants des vices dissimulés et de la déchéance inéluctable, malédiction hollywoodienne qui trace le destin tragique de ces stars autodestructrices. Avec compassion et cette empathie particulière qu’il éprouve pour les icônes déchues, Simon Liberati évoque le crépuscule des idoles ne se refusant pas de temps à autre une pointe d’humour noir glacée. Un texte élégant et triste à la beauté sombre.
Jayne Mansfield 1967 de Simon Liberati - Editions Grasset - Collection de poche J’ai Lu - Prix Femina 2011
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