Street Art : Les facéties de Gregos

rue Debelleyme - Paris 3


Si vous habitez Paris, vous avez certainement croisé au détour d’une promenade, l’une des œuvres de Gregos, figures en plâtre aux moues espiègles, impassibles ou sereines. Cet artiste urbain réalise des moulages de son propre visage qu’il peint au gré de son inspiration, du message qu’il désire transmettre. Couleurs, motifs, textes et dédicaces sont autant de formules qui amplifient son vocabulaire créatif lui permettant à partir de quatre modèles originaux de diversifier sa production à l’infini. Ces créations troublantes ne sont pas sans évoquer paradoxalement, les masques mortuaires auxquels l’expression des humeurs redonnerait vie. Entre réalisme, grain de peau, contour des yeux qui plisse sous la grimace et fantaisie des ornements, les réalisations transmettent une émotion qui interpelle les passants.


rue des Hospitalières Saint Gervais - Paris 3

Gare du Nord - Paris 10


Gregos ne boude pas un certain plaisir de subversion dans sa pratique artistique. Par essence le street art est rebelle et procède d’une poétique dissidente, individualiste pas ennemie du vandalisme. L’intrusion de l’artiste dans le tissu du monde urbain s’impose comme une correction violente de l’esthétique de la ville. En s’emparant des murs, Gregos célèbre la cité moderne, exprimant sous une forme inédite sa créativité. Ces objets de plâtres très résistants fixés à la colle forte traversent le temps avec une constance rare dans l’art urbain, semblant échapper à la dimension éphémère qui caractérise les autres pratiques. La seule façon de les enlever c’est de les attaquer au marteau, il n’est pas rare de croiser des masques martelés. Le parcours atypique de Gregos explique en partie sa passion pour le street art et son goût pour la clandestinité. Il s’agit pour lui de s’emparer du milieu urbain, donner un sens nouveau aux murs en formalisant de manière inédite l’expression artistique jouant sur l’effet de reflet, osmose avec les mutations de la ville.

Né en 1972, il grandit en banlieue nord de Paris. Attiré très tôt par les arts plastiques, il ne suit pourtant pas cette voie. Dans les années 80, il s’exerce au graff, marqueur de territoire, le long des voies ferrées de Paris. Peu intéressé par les études vers lesquelles les conseillers d’orientation le poussent, il les arrête rapidement. C’est pendant son service militaire qu’il passe son permis poids lourds et devient chauffeur routier. Lors d’un séjour à Athènes qui dure deux ans, de 1995 à 1997, l’envie de créer reprend le dessus, il se lance dans la sculpture, première période d’apprentissage qui marquera son œuvre. De retour en France, à Narbonne, il s’essaie au moulage. La création artistique devient alors une part inhérente de son quotidien. En 2003, il part à Boston où il découvre la peinture ajoutant une nouvelle technique à son vocabulaire artistique.





Lorsque Gregos revient à Paris en 2006, il s’installe à Pigalle. Toutes les nuits, sous ses fenêtres des musiciens jouent nuisant gravement à ses heures de sommeil. Il a gardé de ses années rebelles un certain esprit libertaire et plutôt que de réagir en vieux réac’ en les enguirlandant, il décide de façonner une réplique en plâtre de son visage tirant la langue qu’il colle sur le mur d'en face pour faire passer le message. Le lendemain les jeunes fauteurs de trouble le repèrent et c’est le début d’un sympathique dialogue. 

Cet épisode provoque un déclic et lui redonne l’envie de la rue, de la prise directe avec le public. Gregos envisage la ville comme un territoire d’intervention à la fois réservoir et argument artistique. Symboles miroir mettant en scène sa propre image et message direct, en réaction à sa vie quotidienne, à des événements d’actualité, les œuvres prolongent l’exploration par une réflexion plus critique, plus politique. D’une certaine façon, l’artiste enclenche un processus autobiographique dans lequel chaque visage est une sorte d’autoportrait parodique, interrogation sans cesse renouvelée sur l’identité.


Montmartre - Paris 18

Montmartre - Paris 18

Gregos ressent que son art est à l’étroit dans l’aire traditionnelle de la création. En descendant dans la rue, il engage une nouvelle dynamique qui tend vers la déconstruction de la notion d’œuvre d’art et parfois de celle d’auteur au profit du processus. Il renoue avec le street art sous l’influence de ses quartiers d’adoption Pigalle et Montmartre et investit les murs désormais dévolus à la création. Cette expression artistique vandale que Gregos pratique la nuit, goûtant la dimension de l’interdit et répondant au principe de furtivité, suggère l’ouverture d’une nouvelle surface dans la ville. Véritable performance physique, il colle plus de 500 visages la plupart à Paris. Sous une impulsion virale propre à l’art urbain, ses créations se diffusent dans toute la France, lors de ces déplacements et dans le monde entier avec la collaboration d’autres artistes, esthétisant l’espace urbain sous un angle inattendu. Il s’agit de dépasser les conventions au travers d’une pratique régie par un phénomène d’insémination. 

A partir de 2009, le succès est rapide et très vite la Galerie Ligne 13 s’intéresse à son travail. Gregos y croise Jérôme Mesnager, Jeff Aérosol, Miss Tic dont les créations l’inspirent. De sa rencontre avec Franck Duval, naissent plusieurs œuvres collaboratives. Au fil du temps, Gregos intensifie la complexité de ses créations en réalisant des projets de plus en plus grands, investissant l’espace de sa patte entre toute reconnaissable. Il adapte la technique qu’il emploie pour ses tableaux à ses interventions urbaines, mise en abyme avec un portrait peint qui intègre un masque, trompe l’œil dans lesquels les moulages tridimensionnels disparaissent au profit de la représentation à plat et réapparaissent de profil en volume lorsque le point de vue change. Subtil mélange des techniques dont le message parfois clairement transmis par quelques mots est librement réinterprété par la rue.


Gregos - rue Sainte Croix de la Bretonnerie - Paris 4


L’appropriation du réel, représenter l’art ailleurs que dans une galerie induit dans les faits de modifier profondément le processus de création induisant une mutation plastique impérative. Travailler dans la rue c’est également oser la confrontation directe et face à l’incertitude des réactions d’un public élargi faire preuve d’une bonne dose d’humilité. Gregos, désireux d’aller au contact, choisit volontairement d’intervenir dans des lieux touristiques pour atteindre le plus grand nombre. N’importe qui peut devenir spectateur de l’œuvre qui est alors à portée de tous, intégrée naturellement à l’espace urbain. Cette forme de création répond à une esthétique du surgissement, art sauvage en immersion totale dans un milieu original. Investir la rue et en appeler directement au spectateur remet en question les pratiques artistiques conventionnelles. L’art urbain est avant tout un art du geste public, une pratique participative et déclarative. 

Intrigué par l’intérêt que ses créations suscitent auprès du public, Gregos se passionne pour la photographie. Au cours de ses interventions, de ses promenades, il prend des photos qu’il publie sur son site personnel des passants qui fixent d’un cliché ses masques.  L’œuvre étonnante de cet artiste laisse une impression profonde. L’étonnement des spectateurs à leur tour acteurs est à la fois amusant et très intéressant à regarder. Gregos poursuit sa collaboration avec des artistes du monde entier via une intéressante démarche ouverte à tous. Il vend des masques vierges sur son site (sans en tirer aucun bénéfice) et propose à tout un chacun de les peindre pour ensuite les poser sur les murs de la ville ou de lui renvoyer afin qu’il les colle lui-même à Paris où il prendra une photo.

Site personnel de Gregos : gregosart.com 
Galerie Artkraft - 28 rue Chaptal - Paris 9
Galerie Ophite - 64 rue du Temple - Paris 3
Galerie Modus - 23 place des Vosges - Paris 3