En 1965, à Paris, le jeune Simon Liberati, cinq ans, intègre sur les conseils de l'oncle René, mathématicien, le collège catholique Stanislas, prestigieux établissement privé sous contrat. En 11ème bleue, la direction lui donne le "numéro d'écrou 103". Il vivra cette scolarité sous le joug de condisciples hostiles à sa différence. Durant douze années, il subit les persécutions, le harcèlement systématique, maltraitances quotidiennes qui l'empêchent de suivre les cours normalement. En 1977, Simon est renvoyé de Stanislas, juste avant le bac, pour défaut de résultats scolaires. L'institution, si fière de ses 100% de réussite, ne peut prendre le risque de présenter à l'examen un élève médiocre, susceptible d'échouer.
Simon est l'enfant unique d'un couple fantasque. André Liberati, poète surréaliste, un temps enseignant puis employé de banque et Anne Lazare, danseuse aux Folies Bergères puis assistante sociale, ont connu l'amour libre avec les auteurs du sulfureux roman "Emmanuelle", avant d'embrasser la foi catholique sur le tard. La famille vit dans un HLM du VIème arrondissement, obtenu grâce à un ami communiste, ristourne et accès aux beaux quartiers. Choyé par ces parents hors normes, Simon connait le bonheur à leur côté tandis qu'à l'école c'est l'enfer.
Confession douloureuse, chronique d'une enfance atypique, "Stanislas" s'inscrit dans la promesse d'une trilogie autobiographique, Simon Liberati se penche sur les douze années passées au sien d'un collège privé où les religieux forment "l'élite de la Nation". Il raconte "ces années de bagne, d'enfermement" une enfance à deux facettes, d'un côté la douceur auprès d'une famille riche de culture et de l'autre les persécutions scolaires.
Le jeune introverti qu'il était devient paria, jeté en pâture aux gamins issus d'un microcosme privilégié auquel il n'appartient pas. Son inadéquation fait de lui le souffre-douleur et le condamne à une terrible solitude. Les coups, les humiliations, autant de brimades, d'épreuves à surmonter, forment l'adolescent en devenir, consommateur de drogues, punk à devise No future et portent en elles les germes de l'écrivain, son romantisme noir, ses obsessions délétères.
Ses souffrances modèlent son caractère autant que ses goûts, érudition savoureuse et éclectique. Au fil du texte, Simon Liberati égrène les références, les jalons littéraires salvateurs, les clés pour s'extraire d'un quotidien désastreux, Charles Dickens, Tolstoï, Marcel Proust, Joris-Karl Huysmans, puis Jacques Chardonne, Paul Morand. Élégance du styliste, il ausculte la mémoire, les blessures de son âge tendre, compile pléthore de petits détails, les brimades ordinaires, le sadisme des enfants, les moqueries, la violence, les éclaircies.
Versant lumineux, Simon Liberati revient sur les figures d'une famille hors normes, le père poète, la mère danseuse de cabaret, l'oncle René, nobliau de province, mathématicien loufoque, la tante Yvonne, octogénaire habillée en péripatéticienne de la rue Saint Denis. Il dit sa grand-mère maternelle, Odette, fondatrice d'une maison d'édition spécialiste des beaux livres et d'une revue "Paroles peintes", son grand-père, né à Bucarest, affichiste de publicité devenu peintre abstrait.
En sous-texte, Simon Liberati peint un tableau vivant de la société en mue, au tournant des années 1970. Mai 68 passe en fond sonore. L'auteur ponctue son récit de références culturelles, achète le disque "Ziggy Stardust" de David Bowie au Bon Marché, se fait pincer à voler "L'anti-vierge" le deuxième tome d'"Emmanuelle". Il constate l'émergence de l'extrême-droite, l'essor du GUD au sein de Stanislas entre 1973 et 1974.
Récit d'apprentissage cruel et portrait en creux de la société, Simon Liberati évoque tout autant son enfance que l'émergence d'une France nouvelle et l'extinction du vieux monde.
Stanislas - Simon Liberati - Éditions Grasset
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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