En quête d'apaisement, loin de l'Italie, Curzio Malaparte (1898-1957) réside en France de 1947 à 1949. Après quatorze d'absence, ce francophile dans l'âme découvre "[...] une nouvelle France, d'un nouveau peuple français, c'est le portrait d'un moment de l'histoire de la nation française, qui coïncide avec un moment particulier de ma vie". Il tient un journal, prend des notes au jour le jour. Il couche sur le papier ses réflexions, légères, culturelles, politiques, polémiques. Il retranscrit les conversations, croque des portraits vivants, affirme ses amitiés et inimitiés.
Par la théâtralité, le sens de la mise en scène et des dialogues, Curzio Malaparte adopte la position de metteur en scène. Paris devient le décor de la grande comédie humaine. Il capture l'essence des quartiers huppés, Saint-Germain-des-Prés, la Plaine Monceau, et prolonge la promenade jusqu'aux boulevards populaires où les conséquences de la guerre se font durement sentir. Il multiplie les mondanités, fréquente l'intelligentsia, les mondes des arts, des lettres, du spectacle, de la politique. Il déplore la diffusion de l'existentialisme et des idées marxistes. Pour lui, Jean Cocteau représente la grâce, l'esprit français. Il égratigne Albert Camus. Avec style, verve et mauvaise foi.
Il s'insurge contre le projet européen, phénomène de melting pot, promesse selonn loin d'acculturation, de disparition des identités. Chez Taillevent, il dîne avec Roland Laudenbach, écrivain, éditeur, journaliste, critique littéraire, et Emmanuel Berl, politicien, journaliste, essayiste. La comédienne Véra Korène l'accompagne au théâtre en compagnie.
L'écrivain doit se confronter au climat de tension, le trauma du conflit, la reconstruction, les haines passées, assumer ses ambiguïtés, ses compromissions. Italien, un temps fasciste, il est déconsidéré par ses anciennes fréquentations. Il fait l'impasse sur ses errances, estime avoir acquis sa rédemption par son engagement à partir de 1933. Et en effet, il sera arrêté onze fois en vingt ans par le régime fasciste. Blessé par le rejet, cette déconsidération, redevenu étranger dans les yeux des Français, il ressent une certaine amertume. Ses désillusions tournent à l'aigreur et multiplie les coups de griffe.
Le texte, retrouvé dans les archives, se trouve à l'état de notes, en 1957, lors du décès de Curzio Malaparte. Certains fragments ont été rédigés a posteriori. Ces éléments forment la matière brute d'un futur ouvrage inachevé. "Journal d'un étranger" sera publié en 1966 sans intervention de l'éditeur, grâce à l'écrivain et critique littéraire Enrico Falqui (1901-1974).
Regard désabusé nourri de culture classique, Curzio Malaparte revendique ses goûts, ses partis pris, sa manière d'envisager le monde, la seule valable.
Figure controversée pour son adhésion précoce à l'idéologie fasciste, Curzio Malaparte adhère au parti en 1922. Il devient alors un théoricien du régime mussolinien. Mais ses idées politiques influent dès 1925. L'essai "Technique du coup d'État" publié en 1931, en France, aux éditions Grasset, dénonce la montée au pouvoir d'Adolf Hitler. Il réside en France de 1931 à 1933. Désormais très critique envers les figures fascistes, il se voit exclu du parti en 1933 pour "activités antifascistes à l'étranger". Il est arrêté, condamné et fait l'objet d'un confinement aux îles Lipari, où il contraint à une résidence surveillée pour cinq ans. Le régime lui accorde une liberté conditionnelle en 1935.
Au début de la Seconde Guerre Mondiale, correspondant pour La Stampa sur le Front de l'Est, ses articles sont censurés. Arrêté et assigné à domicile par les Allemands, ces prises de position marquent sa rupture définitive avec le fascisme. En 1943, il raconte son expérience de correspondant de guerre dans le roman "Kaputt". Il ne retournera en Italie qu'à la chute de Mussolini. Il participe aux combats pour la libération du pays au sein de la division de partisans Potente. Dans la période d'après-guerre, l'Italie, il se rend à Paris où il demeure du 30 juin 1947 à novembre 1949. Il publie le roman "La Peau" en 1949. Son journal retranscrit en images vibrantes, l'Histoire de l'Europe en marche.
Journal d'un étranger à Paris - Curzio Malaparte - Traduction - Éditions La Table Ronde - Collection La Petite Vermillion
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