1953. Nicolas Bouvier (1929-1998), étudiant suisse, a vingt-quatre ans quand il s'embarque dans un périple de Genève à Kaboul. Au volant d'une Fiat 500 Topolino hors d'âge, bricolée pour l'occasion, il rejoint Thierry Vernet, son ami peintre, à Belgrade. Ensemble, ils prennent la route traversant la Yougoslavie, la Turquie, l'Iran, l'Afghanistan, jusqu'au Pakistan aux frontières de l'Inde. Nicolas tient un journal illustré par Thierry. Leur modeste cagnotte de départ, maigres économies, leur permet de couvrir leurs besoins durant quatre mois. Ils improvisent des revenus. Nicolas donne des cours de français, place des articles voyage dans des journaux suisses. Thierry vend des dessins, des peintures. Ils s'arrêtent aussi bien dans les villes que les villages les plus reculés, à la rencontre des populations locales.
Récit publié à compte d'auteur aux éditions Droz en 1963 à Genève, refusé par les éditions Gallimard et Arthaud, "L'usage du monde" a connu un destin unique. Ce texte tient une place à part dans la littérature de voyage du XXème siècle, œuvre majeure qui a inspiré de nombreuses générations.
Sur les chemins du monde, Nicolas Bouvier nous invite à ses côtés durant les deux années passées à parcourir les routes des Balkans et de l'Asie de l'Ouest. Le récit ne rend compte que de la première partie de cette aventure, de juillet 1953 à décembre 1954. À Kaboul, Thierry quitte Nicolas pour retrouver sa fiancée à Ceylan au Sri Lanka. L'expédition de Nicolas devait se prolonger en Chine. Elle s'arrête pour des raisons politiques, stoppée par l'avènement du régime communiste et les routes fermées aux étrangers.
Le style marqué par une forme d'épure journalistique associe la sobriété du compte-rendu et l'émerveillement poétique. Nicolas Bouvier pose des mots sur la beauté des paysages, l'enthousiasme de la jeunesse, la force des rencontres, les Hommes, les cultures, les moeurs et coutumes. "L’air était d’une transparence extraordinaire. La voix portait. J’entendais des cris d’enfants, très haut sur la vieille route des nomades, et de légers éboulis sous le sabot des chèvres invisibles, qui résonnaient dans toute la passe en échos cristallins." L'enfant qui rêvait devant les atlas géographiques n'est jamais loin.
Porté par la curiosité, l'auteur raconte avec humour les péripéties, entre pannes et incidents variés, préoccupations les plus élémentaires, logement, nourriture. Les haltes plus ou moins longues à Tabriz en Iran, Quetta au Pakistan, disent le mouvement et l'attente. "Nous nous refusons tous les luxes sauf le plus précieux : la lenteur."
"L'usage du monde" porte la nostalgie d'un temps révolu. Depuis les années 1950, les pays ont changé de nom, les frontières ont été déplacées, les guerres et les invasions ont bouleversé la géographie et la vie des populations. Le récit de Nicolas Bouvier interroge la condition humaine et célèbre l'altérité. "Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt, c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait."
L'usage du monde - Nicolas Bouvier - Dessins de Thierry Vernet - Éditions La Découverte
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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