Lundi Librairie : L'impossible retour - Amélie Nothomb - Rentrée littéraire 2024



Au printemps 2023, Pep Beni, amie photographe d'Amélie, lui demande de se joindre à elle à l'occasion d'un périple au Japon. La romancière n'a pas revu l'archipel depuis une dizaine d'années, dernier séjour à l'occasion d'un reportage. Elle accepte à contrecoeur de jouer les guides entre Kyoto et Tokyo. Amélie déteste les voyages, nourrit une horreur des départs. Fille de diplomates, elle a vécu chaque nouvelle affectation de son père comme un déracinement, le départ originel du Japon, pays de l'enfance, un arrachement. Il suffit d'un transfert de l'aéroport d'Osaka vers Kyoto dans un bus Hello Kitty pour plonger les deux femmes dans une culture alternative. Pep Beni choque les Japonais par son impatience, ce qu'ils jugent comme ses mauvaises manières, son tempérament fantasque, sa méconnaissance des codes et des usages. Entre ses allergies terribles, ses caprices, ses coups de tête, elle a conservé de l'enfance une capacité d'émerveillement intacte et une fantaisie précieuse. Installées dans un ryokan, une auberge traditionnelle, les deux amies se promènent de temples en parcs, de restaurants en bars où Amélie boit du whisky à défaut de champagne. Elles visitent le Pavillon doré de Kyoto, le Kinkaku-ji, l'ancien palais impérial. Phénomènes curieux de la mémoire, Amélie ne parvient plus à resituer les lieux dont elle conserve le souvenir et plonge dans une extase zen à Tokyo lors d'une randonnée au pied du Mont Fuji. 

Trente-troisième roman d'Amélie Nothomb, ce carnet de voyage revient sur le lien particulier que l'écrivain belge - elle n'apprécie par le terme écrivaine - entretient avec le pays du Soleil Levant.  "C’est mon pays préféré au monde, ma terre sacrée. La simple évocation de son nom suffit à me mettre en transe. Un tel amour ne me donne aucune compétence particulière et m’enlève tout droit à l’erreur". 

Amélie Nothomb a conservé du Japon, pays de la petite enfance, la retenue, la pudeur, une forme d'élégance morale, d'autodérision. Le japonais, "langue fantôme", langue intime puis oubliée, lui revient au fil des pages de ce récit méditatif. Elle y dit le flux des souvenirs, voyage à travers la mémoire du pays, de la langue. Avec générosité, elle partage son introspection, ses émotions, son sens du sublime, le vertige des réminiscences, les images des premières fois. Cocasse, insolite, elle questionne le sens des voyages. Art de la scène, de l'anecdote, les fulgurances parcourent ce journal sensible, vibrant. À la saveur des péripéties, légères, drôles, succèdent les descriptions des tourments intérieurs.  

Par l'écriture, Amélie Nothomb capture les souvenirs. Au gré de ce périple, atteint une forme d'extase contemplative. Elle se réapproprie les repères, laisse libre cours à son admiration, ravagée par la beauté à l'instar de son père, presque une souffrance. Elle rend hommage à la mémoire du disparu, omniprésence de la figure paternelle, sa grande érudition et la nostalgie en héritage. "Il est mort, il m'est devenu terriblement proche."

Amélie Nothomb ne semble atteindre la sérénité que par le renoncement. Quitter le Japon c'est abandonner, à nouveau, un paradis perdu. Le déchirement du retour porte en lui l'acception d'une réalité, l'incapacité à y vivre, y travailler, blessure intime. "À l'échelle de ma vie, l'éternel retour de l'identique consiste à aller au Japon pour m'apercevoir que ce retour est impossible, que l'amour le plus absolu n'en donne pas la clef."

L'impossible retour - Amélie Nothomb - Éditions Albin Michel