Expo Ailleurs : Ladislas Kijno. Du galet aux étoiles - Labanque - Béthune - Jusqu'au 4 août 2024


 
Ladislas Kijno (1921-2012), figure majeure de la peinture informelle, mouvement pictural né au début des années 1950 qui regroupe l'abstraction lyrique, l'expressionnisme abstrait ou l'action painting, il marque dans sa pratique de l'abstraction une rupture radicale avec les influences du cubisme et du surréalisme. Artiste militant, il associe ses engagements politiques, au souvenir de la mine et de la région où il a grandi, ainsi que ses goûts musicaux et littéraires notamment la poésie, ou encore sa passion pour les sciences, comme l'anthropologie. Son oeuvre se nourrit de principes alternatifs, la déstructuration, la spontanéité du geste. Il introduit très rapidement les concepts d'improvisation et de hasard dans l'exercice de son art. Il créé des signes dont le sens n'est révélé qu'à posteriori. "Le peintre doit se faire scaphandrier pour descendre aux assises du monde et cosmonaute pour remonter jusque dans les étoiles."

En 2024 douze années après la disparition de l'artiste, quarante communes de la communauté d'agglomération Béthune-Bruay lui rendent hommage au gré de cent-cinquante événements. Six lieux répartis entre Béthune, Bruay-la-Buissière, Noeux-les-Mines et Beuvry accueillent des expositions jusqu'au 4 août. Labanque de Béthune, ancienne succursale de la Banque de France réhabilitée de lieu de création et d'exposition, lui consacre une rétrospective d'envergure, "Ladislas Kijno. Du galet aux étoiles". Le commissaire Renaud Faroux, historien d'art, critique et journaliste, spécialiste de l'abstraction des années 1950 et du Pop Art, a réuni cent-cinquante oeuvres qui témoignent d'un parcours militant, politique et esthétique.








Ladislas Kijno nait à Varsovie en 1925. Sa famille quitte la Pologne en 1929 pour le Pas-de-Calais où Joseph, son père mineur, trouve du travail. Les Kijno s'installent à Nœux-les-Mines. Enfant, le jeune Ladislas dessine sans jamais suivre de formation académique. Il fréquente le lycée d'Assas puis poursuit des études littéraires, en philosophie, à l'Université catholique de Lille. Il s'initie à la peinture en autodidacte. En 1943, la découverte des oeuvres de Louis Aragon et Francis Ponge marque profondément sa pratique picturale. Tout au long de sa carrière, Ladislas Kijno n'aura de cesse de puiser l'inspiration dans la fréquentation des poètes Tristan Tzara, Nikos Kazantzaki, Salah Stétié, Bernard Noël, François Xavier. 

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le peintre s'installe à Antibes puis rejoint Paris où il se forme au sein de l'atelier de Germaine Richier. À cette époque, il se lie d'amitié avec Pablo Picasso, Alberto Magnelli. Ladislas Kijno se consacre entièrement à la peinture à partir de 1947. Il participe au projet de l'église d'Assy en Haute-Savoie, en 1949, auprès des plus grands artistes Henri Matisse, Georges Braque, Fernand Léger, Georges Rouault, Jean Bazaine, Germaine Richier. Il réalise une Cène destinée à la crypte. 








À partir de 1950, Ladislas Kijno, féru d'expérimentations, développe la pratique du froissage du papier puis du tissu, modalité qui confère une dimension sculpturale à ses toiles. Le papier froissé, marouflé sur toile, arraché, tranché réalise des reliefs, des volumes qui accidente l'empreinte de la peinture, perturbe le mouvement du pinceau. Il s'illustre en tant que pionnier de la vaporisation sur toile par aérosol, pulvérisation vectrice d'expansion du champ chromatique. Cette technique associée à un message politique relève d'une évolution du graffiti contestataire. De ce fait, il est aujourd'hui considéré comme le père spirituel de l'art urbain en France.

Dès les années 1960, il acquiert une renommée internationale qu'il met au service de ses convictions, son soutien à Nelson Mandela, ou Angela Davis, militante communiste, féministe et pacifiste, femme de lettres, professeur de philosophie qui devient son amie. À travers ses oeuvres, Ladislas Kijno dénonce les guerres, parle du combat des peuples algériens ou vietnamiens pour leur indépendance. En 1962, avec le tableau "OAS Assassin", l'artiste invente une forme d'écriture sur toile inspirée par la pratique du graffiti politique.  

Ladislas Kijno compose ses toiles selon une rythmique particulière qui emprunte à la musicalité et témoigne de son admiration pour le jazz, à l'occasion de séries dans les années 1960, "Jazz" et "Musique sérielle". Son militantisme politique et son goût des voyages le conduisent en Chine, à Tahiti, en Indonésie, jusqu'à l'île de Pâques. La série des "Écritures blanches" traduit son obsession du geste quasi calligraphique aussi spontané que maîtrisé, la furtivité d'une intervention directe de l'artiste sur le réel. 








Au premier étage dans les anciens appartements de Labanque, se trouvent réunis des hommages aux figures littéraires, Guillaume Apollinaire, Pablo Neruda. Ladislas Kijno multiplie les manifestations d'admiration à ses pairs, Nicolas de Staël, Paul Gauguin, Henri Matisse, ainsi qu'aux musiciens Eric Satie, mais aussi à Galilée, ou encore Youri Gagarine. 

Au sous-sol dans l'ancienne salle des coffres, les galets peints éclairent la fascination pour l'art pariétal préhistorique et les origines de l'homme, à l'instar des empreintes de main et de pieds dont il ponctue des toiles telles que "Apocalypse de la préhistoire ou les premiers pas de l'homme" (1982). Ces oeuvres soulignent la passion de Ladislas Kijno pour l'anthropologie. En effet, les galets peints sont une forme d'art associée au culte des ancêtres présente dans toutes les cultures premières, la préhistoire, les peuples amérindiens, aborigènes.









Marques de son attachement particulier au Pas-de-Calais, sa région d'adoption, les oeuvres de Ladislas Kijno sont présentes dans de nombreux lieux publics : la mosaïque du lycée Henri Senez à Hénin-Beaumont, la série de trente stèles "Le Théâtre de Neruda", présentée à la biennale de Venise en 1980, désormais au sein du complexe Lille Grand Palais, l'escalier d'honneur de la mairie de Lille ou encore la rosace de la cathédrale Notre-Dame de la Treille à Lille achevée en 1999. 

Au début des années 2010, Ladislas Kijno et son épouse, Malou, font don de soixante oeuvres, tableaux, dessins, sérigraphies, papiers froissés, à la communauté d'agglomération Béthune-Bruay, dont un ensemble remarquable, la Donation Kijno présenté à Noeux-les-Mines.

Ladislas Kijno Du galet aux étoiles
Jusqu'au 4 août 2024

Labanque 
44 place Georges Clemenceau - 62400 Béthune
Tél : 03 21 63 04 70
Horaires : Du mercredi au dimanche de 14h à 18h30 - Fermé le lundi et le mardi



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.