Alexis et Taïné Tcherepakine ont été chassés de la propriété familiale de Fontainebleau. À la suite de l'accident de voiture qui a coûté la vie à Serge le frère aîné et défiguré Taïné, Alexis s'est réfugié à Rome. Vingt ans à peine, déjà fané, flétri par la vie, il conserve pourtant sa séduction distinguée, son entregent. Assistant d'un photographe, animal social torturé par son goût de la solitude, il nourrit des velléités d'écriture. Après de longs mois dans le coma et la douloureuse reconstruction chirurgicale de son visage, Taïné est devenue l'amante du couple de milliardaires, Paul et Talitha Getty. Voyages, soirées mondaines, opium, bientôt ils l'accusent d'être une mauvaise influence et la mettent à la porte de leur palais romain. Taïné se réfugie chez son frère. Créature mélancolique, elle entretient avec art une nonchalance radicale, entre torpeur de la drogue et indolence naturelle. Elle se découvre par hasard un certain talent de photographe. À cours d'argent, le frère et la soeur sont recueillis par Gorgonia, veuve richissime, qui leur alloue les combles de son palazzo.
Alexis fait embaucher Taïné comme chargée des relations publiques du club Number Two, propriété de la mafia. Leur fragile équilibre bascule lors d'un souper tardif aux allures de messe satanique, "le dîner des démons" auquel assistent Truman Capote, Helmut Berger, Andy Warhol, Kenneth Anger. Mimi l'antiquaire trafiquant en tout genre, grand pervers, se joint à eux ainsi que Gorgonia. Donatien fait son apparition en compagnie d'une jeune femme aux charmes délétères, Dominique Mirhage pour qui Taïné se prend de passion jusqu'à la folie. Alexis chavire pour une petite gouape pasolinienne.
Deuxième volet de la trilogie "Les Démons" inaugurée en 2020, fresque familiale des années 1960 aux années 1980, "La hyène du Capitole" capture l'esprit des années 1970. Simon Liberati peint à grands traits expressionnistes des ambiances poisseuses de stupre et de transgression où l'humour noir trouve toute sa place. Les fulgurances poétiques traversent une écriture sensuelle, voluptueuse. Il pose des mots sur les excès de la défonce, les dérives d'une marginalité dorée. Héritiers camés, paumés au bord du gouffre, margoulins pervers, Simon Liberati peuple son récit de créatures baroques, figures indociles promises à des destins funestes. Les plus fragiles sont englouties par la nuit dans une ronde menée sur la musique familière d'Éros et Thanatos.
Au début des années 1970, la Dolce Vita fellinienne connait ses dernières heures. Les icônes de lumière et d'insouciance ont été remplacées par des héroïnes ténébreuses, Anita Pallenberg, Marianne Faithfull, Talitha Getty. Atmosphère de déliquescence survoltée, de romantisme noir, l'argent triomphe dans sa toute-puissance. Les heureux du monde, hippies milliardaires, aristocrates désargentés, artistes décadents, entretiennent une esthétique du désespoir, heroin chic. Possédés par leurs démons, ils s'étourdissent d'une mystique dévoyée, empreinte de superstition et de satanisme. Les soirées privées entre excentriques fortunés ont fait place à la culture des clubs, le Number Two, le Jackie O. La drogue devient le symbole de cette époque nihiliste, une échappatoire à la réalité.
Inanité des relations sociales, dépravation des moeurs, Simon Liberati recrée un univers singulier où se croisent personnalités réelles et personnages de fiction. Helmut Berger, au sommet de sa gloire et de sa beauté, au lendemain du film "Les damnés" de Luchino Visconti, prend des poses de diva hystérique. Relégué au rôle d'amuseur de la bonne société, commère ventripotente, voix éraillée de cocaïnomane, Truman Capote se noie dans l'alcool et les médicaments. Il ne parvient plus à écrire après le succès de son récit documentaire "De sang-froid" paru en 1966. À leurs côtés, Alexis et Taïné, leur don inné pour l'autodestruction, leur séduction délétère, n'arrivent à rien, ne se réalisent jamais, englués dans leurs ambiguïtés. Vertige de la vacuité, déréliction des sens, les égarements poussent parfois jusqu'au crime. Érotique, hypnotique, vénéneux.
La hyène du Capitole - Simon Liberati - Stock
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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