Paris : Dragon du 50 rue de Rennes, mémoire de la Cour du Dragon disparue, fantôme d'un pittoresque passage artisanal à Saint-Germain-des-Prés - VIème


Le dragon du 50 rue de Rennes, à Saint-Germain-des-Prés, orne le porche principal d'un immeuble construit par la Cogedim en 1999. Ce haut-relief incongru marque l'emplacement approximatif de la Cour du Dragon, passage semi-privé inauguré en 1735, démoli dans les années 1930. De cette allée artisanale ne demeure aucun vestige hormis la forme de la parcelle entre la rue du Dragon et la rue de Rennes. Le dragon sculpté réapparu au début des années 2000 est une copie en résine de l'original signé Paul-Ambroise Slodtz (1702-1758). Ce haut-relief de pierre surmontait le portail de la cour, entrée située à quelques mètres de la reproduction. Il a rejoint au milieu des années 1950 les collections du Louvre. 





Photographie Eugène Atget 1913


Antoine Crozat, marquis du Chatel (1655-1738), a fait fortune dans la traite négrière. Premier propriétaire de la Louisiane, celui que ses contemporains considèrent comme « un parvenu de la pire espèce » devient la première fortune de France à la fin du règne de Louis XIV. En 1713, dans le cadre d'une opération immobilière spéculative, il acquiert un terrain sur lequel se trouvait depuis 1652, le manège d'une académie équestre fondée par François du Gard de Longpré, écuyer de la grande écurie du roi. A l'occasion du lotissement, Crozat nourrit un projet de voie semi-publique, pour lequel il s'adresse à l'architecte Victor Thierry Dailly. Le financier décède en 1738. Sa veuve Marguerite Crozat, née Legendre d'Armeny, mène à bien l'entreprise dont elle confie les plans à l'architecte Pierre de Vigny (1690-1772). Il conçoit un passage large de sept mètres, distribué en une vingtaine d'échoppes doublées à l'arrière de sept courettes. 

L'allée est percée entre le 2 rue de l'Égout, disparue lors du percement de la rue de Rennes au XIXème siècle et le 42 de la rue Saint-Benoît, disparu sous la poussée haussmannienne du boulevard Saint Germain. Paul-Ambroise Slodtz réalise un haut-relief en pierre destiné à l'entrée du côté de la rue des Égouts. La cour du Dragon emprunte son nom à la créature mythologique qui orne le portail monumental et la façade rococo de style Louis XV. La cour débouche en face de la rue Sainte Marguerite, actuelle rue Gozlin. Le sculpteur s'inspire de la légende de sainte Marguerite d'Antioche, vénérée à Paris au sine l'église Saint Germain des Prés voisine, martyre souvent représentée en compagnie d'un dragon. Il rend ainsi hommage à la commanditaire, Marguerite Crozat. 

De la Révolution aux années 1870, ferronniers et serruriers, spécialistes des ferronneries d'art, balcons, grilles, destinées aux belles demeures, aux institutions et autres hôtels particuliers, se réunissent au sein de la cour du Dragon auprès de chaudronniers, tôliers et plombiers. Les émeutiers de juillet 1830 s'approvisionnent là en barreaux de fer et pics. 

Au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, les grands travaux d'Haussmann modifient profondément le quartier, percement du boulevard Saint Germain à partir de 1853, rue de Rennes et de Vaugirard à partir de 1866. Après 1870, la cour du dragon Débouche au niveau des numéros 50-52 rue de Rennes du côté où se trouve le portail monumental, désormais de biais, et 7 rue du Dragon, dite rue du Sépulcre jusqu'en 1808, de l'autre. 



Photographie Eugène Atget 1913 - Débouché sur la rue du Dragon

Photographie Charles Marville - Vers 1853-70 - Cour du Dragon


Au début du XXème siècle, le passage pittoresque est animé par les artisans des métiers de la forge et de la récupération, métallurgistes, plombiers, ferrailleurs. Au début des années 1920, la Commission du Vieux Paris tente de faire classer l'ensemble formé par la Cour du Dragon. Averti de cette initiative, le propriétaire fait raser, en 1925, avant que l'action n'aboutisse, les maisons sur cour afin de conserver toute liberté d'intervention sur son bien.

Le reste des bâtiments est démoli en 1934 à l'exception du portail au dragon. Les constructions du XVIIIème siècle font place sur la rue de Rennes à un immeuble achevé en 1938. La Commission du Vieux Paris et le propriétaire négocient le dépôt du portail afin de procéder au réalignement du bâti sur la rue. Dans ce cadre, les pierres font l'objet d'une numérotation en juillet 1939. Mais la Seconde Guerre Mondiale éclate. En 1943, le haut-relief du portail, le dragon de Paul-Ambroise Slodtz est inscrit aux monuments historiques, inscription annulée en 1948.

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, faute de moyens, le projet de reconstruction du portail aligné sur la rue est définitivement suspendu. Le 26 juillet 1954, sa démolition sans conservation est actée. En 1955, le haut-relief déposé, est offert par Marguerite Marie Péri (1884-1965), avec l'accord de la Société immobilière de la cour du Dragon, à l'Etat. Il rejoint les collections publiques et les réserves du Louvre. Le nouveau bâtiment de la rue de Rennes, inauguré en 1958, accueille une école privée, le cours Désir ainsi qu'une surface commerciale.

En 1999, un nouveau projet orchestré par la Cogedim voit le jour. Les architectes Raymond Ichbiah (1941-2019) et Jean-Paul Mars imaginent sur la parcelle de l'ancienne cour du Dragon une résidence composée de cinq immeubles d'habitation qui reprend la structure di passage disparu. Quatre-vingt-dix-sept appartements, un jardin d'inspiration italienne vaste de 1000m2, trois niveaux de sous-sol, trois étages au-dessus du supermarché. Sur la façade de la rue de Rennes, au-dessus du porche principal est posé une copie en résine du dragon originel.

Haut-relief dragon 50 rue de Rennes / Ancienne Cour du Dragon - Paris 6



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Saint-Germain des Prés et son faubourg, évolution d’un paysage urbain - Dominique Leborgne - Parigramme
Connaissance du Vieux Paris - Jacques Hillairet - Rivages
Le guide du promeneur 6è arrondissement - Bertrand Dreyfuss - Parigramme