Paris : Cité de Trévise, le temps suspendu, charmes préservés d'un square développé sous la Monarchie de Juillet - IXème

 

La Cité de Trévise, édifiée entre 1840 et 1844 sur les plans de l'architecte Édouard Moll (1797-1876), a vu le jour dans le cadre d'une opération immobilière empreinte d'anglophilie. Londres est alors la ville moderne par excellence, modernité qui inspirera Napoléon III et le baron Haussmann à partir de 1856. Le secteur loti à partir du Premier Empire (1804-1815) et de la Restauration (1814-1830) se couvre d'hôtels particuliers, pavillons, petits immeubles entre cours et jardins. Au Sud de la parcelle, sur le plan Maire de 1808 indique une brasserie flamande. Une maison de rendez-vous galants nourrit alors la mauvaise réputation du quartier. À partir de 1840, la Cité de Trévise, placette ouverte entre le nouveau quartier de la Boule Rouge et le Faubourg Poissonnière, se développe sur les terrains libérés par la disparition de l'hôtel Margantin. Celui-ci a été édifié en 1786 par l'architecte Nicolas Lenoir (1733-1810), spéculateur important du quartier d'Aligre au Faubourg Poissonnière, pour son associé dans le cadre des opérations menées autour du Clos-Cadet, le notaire Margantin.

Le voisinage de la rue de Trévise, désignée ainsi en hommage au Maréchal Mortier, duc de Trévise (1765-1835), militaire, homme d'état, mort lors de l'attentat orchestré par Joseph Fieschi (1790-1836) contre Louis-Philippe le 28 juillet 1835, détermine la dénomination du square parisien. 








Au coeur du Faubourg Montmartre, le charme préservé de l'ensemble doit beaucoup à l'absence de voiture, atmosphère hors du temps. Depuis 2008, le stationnement est strictement limité. Une fontaine chante au milieu du jardinet arboré, flanqué de quatre érables sycomores. Dès la création de la Cité de Trévise, les promoteurs immobiliers à l'origine du projet vantent la quiétude de cette enclave, à proximité du Faubourg Montmartre quartier animé, très fréquenté où fleurissent commerces et établissements bancaires. Ils portent une grande attention aux détails. Édifié sous la Monarchie de Juillet dans un style Louis-Philippe éclectique, le square résidentiel se veut cossu. Dix-huit parcelles sont construites sur les vingt-sept disponibles. L'esthétique architecturale associe éléments néoclassiques, colonnes ioniques, fenêtres en plein cintre, murs à refends, côtoient des décors foisonnants d'inspiration néorenaissance, néogothique pour un square à l'anglaise, à l'instar de la cité d'Orléans voisine.

La fontaine centrale à double vasque, œuvre du sculpteur Francisque Duret (1804-1865) fondue dans les ateliers du maître de forge Jean-Jacques Ducel (1801-1877) prend place au centre du jardinet dès 1840. Les Trois Grâces qui l'ornent s'inspirent du monument funéraire commandé par Catherine de Médicis au sculpteur Germain Pilon (vers 1528-1590), canope destiné à recevoir le coeur de son époux Henri II. Au programme décoratif de façade, répond tout le confort moderne intérieur, eau courante et branchement au gaz. Innovations précieuses. 










L'ouverture de la Cité Trévise est abondamment commentée dans les pages du journal "L'illustration". L'article publié dans l'édition du 14 septembre 1844 loue sa situation : « Placée près des boulevards, au centre du haut commerce et de la banque, cette nouvelle cité, dont les hôtels et les maisons d’habitation entourent un parterre émaillé de fleurs, du milieu desquels s’élancent une fontaine jaillissante, offre la retraite la plus agréable au milieu du bruit des affaires et des plaisirs ». L'article souligne les « efforts tentés depuis quelques années pour naturaliser à Paris les squares, qui donnent à la ville de Londres un caractère si particulier, et créer au milieu du tumulte des quartiers les plus bruyants de fraîches oasis et de tranquilles thébaïdes ». 

Le règlement intérieur édicté au XIXème siècle, privilégie la formule résidentielle et interdit l'installation de boutiques ou ateliers. Dans un quartier largement fréquenté par les Vénus mercenaires, y interdit également l'exercice de "professions insalubres", ou la location aux personnes "sans moralité". À l'origine, des grilles ferment la Cité Trévise aux deux extrémités, au nord rue Richer, au sud rue Bleue. Services de concierge en livrées et gardiens de nuit, rémunérés par la copropriété, prennent en charge l'entretien et la rigoureuse surveillance. 

Le square est ouvert à la circulation dans les années 1950, puis intégré à la voirie parisienne publique en 1983. Le quartier fait l'objet d'un classement en tant que site inscrit, ensemble urbain d'intérêt patrimonial qui comprend l'intégralité des arrondissements du Ier au Xème ainsi que le XVIème et le XVIIème, par arrêté du 6 août 1975. La Cité de Trévise est inscrite aux Monuments historiques par arrêté du 7 juin 1991. La protection patrimoniale concerne l'ensemble des façades et toitures hormis les numéros 1, 3, 5, 13, 15, 17, 19, façades et toitures des retours sur les rues Bleue au numéro 5 et Richer au numéro 14, les sols, la rue, le square et la fontaine ainsi que les portes d'entrée, vestibules et escaliers des immeubles.  








Parmi les résidents illustres de la Cité Trévise, Alexandre Dumas habite brièvement au numéro 3 en 1847 avant de déménager rue Richer un an plus tard. A cette adresse, demeurent un temps Max Aub (1903-1972) écrivain et critique littéraire et Eugène Sartory (1871-1946) archetier, auxquels des plaques commémoratives font aujourd’hui référence. 

Le numéro 7 Cité de Trévise, se distingue par une porte ouvragée en bois et ferronnerie décoré de sujets troubadour, évocation du couple mythique, Héloïse et Abélard. Au 8, le décor sculpté remarquable déploie pilastres, volutes et feuillages. Au 9, derrière portail à tête de lions se trouvait, jusqu'en 2005, l'office de tourisme de Malte. Au 11bis, une entrée encadrée de colonnes ioniques confère un certain effet monumental à l'immeuble. Médaillons sculptés et salamandres en décorent la façade.

Une marquise de verre et ferronnerie caractérise l'accès au numéro 14, qui n'échappe pas aux motifs floraux et autres entrelacs. La Société des Gens de Lettres fondée à Paris le 16 avril 1838, sur une idée de Louis Desnoyers, soutenue par Honoré de Balzac et un comité d'écrivains occupe de 1841 à 1869 l'un des étages. Au numéro 20, cornes d'abondance et guirlandes de fleurs marquent l'esthétique de la façade. 

Une bombe allemande tombe sur le 22 cité de Trévise le 8 mars 1918. L'emplacement occupé au XXème siècle par un grand garage, est reconstruit pour laisser place à un immeuble d'habitation en 1997. 

Cité de Trévise
Accès 14/18 rue Richer - 7 rue Bleue - Paris 9
Métro Cadet ligne 7



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos
Le guide du promeneur 9è arrondissement - Maryse Goldemberg - Parigramme