Expo : Ingres. L'artiste et ses princes - Château de Chantilly - Salle du Jeu de Paume - Jusqu'au 1er octobre 2023

Portrait Louise, princesse de Broglie, future comtesse d'Haussonville (1845)

 
Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), peintre favori de la famille d'Orléans, établit durant la période faste de la Monarchie de Juillet (1830-1848), une réputation de visionnaire, d'une originalité radicale. "Artiste des princes, prince des artistes", il réalise certaines de ses oeuvres les plus célèbres grâce au soutien amical et financier du prince Ferdinand Philippe d'Orléans, fils aîné du roi Louis-Philippe, héritier présomptif décédé prématurément, puis de ses frères cadets Antoine d'Orléans, duc de Montpensier puis Henri d'Orléans, duc d'Aumale. Ses mécènes royaux lui offrent les conditions matérielles nécessaires à l'exercice de son art, sa quête de perfection quasi-obsessionnelle.

Au Château de Chantilly, l'exposition "Ingres. L'artiste et ses princes" orchestrée par Mathieu Deldicque, directeur du Musée Condé et Nicole Garnier, conservateur général honoraire du patrimoine, retrace en cent-dix oeuvres, la riche carrière du peintre, de ses débuts parisiens, à ses deux séjours en Italie, jusqu'aux dernières années. Aux cinq tableaux conservés dans les collections du domaine s'ajoutent des prêts exceptionnels, opulente sélection d'oeuvres rares, inédites, redécouvertes, rarement prêtées, issues de collections nationales et internationales, privées et publiques, musée du Louvre, musée d'Orsay, musée des Arts décoratifs, Metropolitan Muséum de New York, musée royal des Beaux-Arts en Belgique, musée d'Amsterdam.


Autoportrait à l'âge de vingt-quatre ans (1804-1851)

Portrait de Charles Jean Marie Alquier (1806)
Portrait de Mme Duvaucey (1807)

Portrait de Mme Duvaucey (1807)


Paolo et Francesca surpris par Gianciotto (1814)


Inspiré par la Renaissance, le classicisme, Raphaël, Titien, Ingres se rêvait peintre d'histoire, le genre le plus noble dans la hiérarchie des beaux-arts. Il sera encensé pour ses portraits de la haute société, ses représentations féminines idéalisées. Proche des dignitaires du régime, des banquiers d'affaires, membre de l'Institut de France durant près d'un demi-siècle, l'institution à laquelle le duc d'Aumale lègue en 1897 le domaine de Chantilly et ses collections, cette personnalité ambitieuse entretient ses réseaux sans renoncer à son idéal.

Panorama chronologique, l'exposition "Ingres. L'artiste et ses princes" éclaire un processus créatif exigent. Les étapes de la scénographie s'attachent à représenter l'atelier du peintre dans ses phases successives, au fil d'oeuvres majeures, placées en regard des études et variantes, croquis, esquisses, dessins préparatoires et versions alternatives. Ce perfectionniste, éternel insatisfait, sensible à la critique, retravaille inlassablement ses tableaux parfois durant des années, des décennies. Il se remet sans cesse à l'ouvrage, retouche, reprend, révise, transforme. Les dernières études scientifiques, radiographies, ultraviolets, infrarouges, analyses menées par le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) au Louvre renouvellent ici le regard posé sur l'oeuvre d'Ingres. 



Stratonice ou La maladie d'Antiochus (1840)

Etudes pour Stratonice ou La maladie d'Antiochus



Exemple vibrant de cette recherche sans fin, "Autoportrait à vingt-quatre ans" (1804-1851), présenté au Salon de 1806, demeure dans l'atelier de l'artiste jusqu'à la fin de sa vie. Ingres achève cette toile à l'âge de soixante-dix ans vers 1850/51. Une copie exécutée par Marie-Anne-Julie Forestier en 1807, et une photographie prise vers 1849 par Charles Marville sont les seules traces du tableau originel bien différent de celui connu aujourd'hui.

En 1807, Charles-Jean-Marie Alquier alors ambassadeur auprès du Saint-Siège commande un portrait de sa maîtresse, Antonia Duvaucey de Nittis, à Ingres pensionnaire à l'académie de France à Rome. La demande paraît choquante au prude artiste mais il se plie aux désirs de son commanditaire. Presque contre son gré, il réalise un chef-d’œuvre que Théophile Gautier qualifie de "Joconde d'Ingres". Le "Portrait de Madame Duvaucey" (1807) acquis en 1833 ou 1846 par Frédéric Reiset collectionneur, historien de l'art, conservateur du musée du Louvre sous le Second Empire et directeur des Musées nationaux sous la IIIe République, est revendu en 1879 au duc d'Aumale. 


Oedipe explique l'énigme du Sphinx (1808)
Portrait de Ferdinand Philippe d'Orléans (1842)

Portrait de Ferdinand Philippe d'Orléans prince royal (1842)

Projets de vitraux pour Neuilly, Dreux et Chantilly

Portrait de Louis-Philippe roi des Français pour la chapelle Saint-Ferdinand (1842)

Félix Duban - Projet de reconstruction de Chantilly (1847)


Ses relations privilégiées avec la famille royale lui attire les faveurs d'une clientèle prestigieuse. Ferdinand-Philippe d'Orléans (1810-1842), grand collectionneur du peintre, fait l'acquisition en 1839 du tableau "Oedipe explique l'énigme du Sphinx" (1808). A la suite de cet achat, Ingres réalise plusieurs portraits du prince qui lui commande également une peinture d'histoire "La Maladie d'Antiochus" ou "Antiochus et Stratonice" (1840). Afin d'atteindre la composition idéale, l'artiste imagine sept versions de l'oeuvre. L'exposition présente en parallèle les recherches, les croquis, études majeures, esquisses d'analyse des détails, vues d'ensemble qui ont conduit à la composition finale.

Au lendemain du décès accidentel du prince Ferdinand-Philippe d'Orléans, sur la route de Neuilly, le 13 juillet 1842, le roi Louis-Philippe et de la reine Marie-Amélie se rapprochent d'Ingres. Ils commandent des vitraux destinés à la chapelle royale de Dreux où le prince est inhumé ainsi qu'à la chapelle commémorative dédiée à saint Ferdinand de Castille et Notre-Dame de la Compassion, élevée sur les lieux de l'accident. 



La source (1856) / Vénus anadyomène (1808 -1848)

Vénus à Paphos (1852-53)

Portrait de profil et en médaillon de la reine Marie-Amélie (1845)
Virgile lisant l'Enéide devant Auguste, Octavie et Livie (1819)

Portrait Marie Frédéric Eugène de Reiset (1844)

Portrait Louise, princesse de Broglie, future comtesse d'Haussonville (1845)


Au-delà d'un classicisme apparent, Ingres développe un style unique, d'une grande liberté, d'une audace inédite. Dernier peintre néo-classique, grand rival d'Eugène Delacroix (1798-1863), Baudelaire le critique vivement pour son rapport obsessionnel à la beauté. Afin d'atteindre le beau absolu, Ingres s'arrange avec la réalité des corps. Son idéal féminin se détache de la réalité anatomique. Il travaille durant près de quarante années sur sa "Vénus anadyomène" (1808-1848), de retouche en réinvention, dans l'espoir d'atteindre ce sommet d'élégance plastique. Les reflets improbables dans le miroir du "Portrait de Louise princesse de Broglie, future comtesse d'Haussonville" (1845), prêt exceptionnel de la Frick Collection de New York qui clôture l'exposition, s'inscrivent dans le cadre de ce sacerdoce quitte à embrasser pleinement la distorsion du réel.

Ingres. L'artiste et ses princes 
Jusqu'au 1er octobre 2023

Salle du Jeu de Paume
Domaine de Chantilly
7 rue Connétable Château - 60500 Chantilly
Tél. : 03 44 27 31 80



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.