Théâtre : On va faire la cocotte, de Georges Feydeau - Le Lucernaire - Jusqu'au 18 juin 2023



Un soir chez les Trévelin. Alcide reçoit un appel de sa maîtresse, Blanche de Mouzy, reine des nuits parisiennes, et promet de la rejoindre. Afin de libérer sa soirée, il cherche à convaincre son épouse, Emilienne, de se coucher tôt. Trévelin, archétype du mari volage, noceur amateur de courtisanes et autres vénus mercenaires, pense s'en tirer à bon compte. La scène de ménage couve. Olympe Chantrot, une proche du couple, est annoncée à l'impromptu. Alcide en profite pour s'éclipser. Elle vient révéler à sa grande amie Emilienne que leurs conjoints, comparses de bringue, les trompent allègrement. Alertées de ces embardées, elles ont la ferme intention de confondre leurs maris adultères et surtout de leur rendre la pareille. Emilienne, vingt-cinq plus jeune que son époux, fantasme en secret sur la vie libérée des cocottes qui font courir Alcide. Elle rêve d'émancipation érotique, d'aventure et d'égalité entre les sexes. Pour se venger de l'infidèle tout en préservant sa réputation et sa vertu, elle met au point un stratagème redoutable.

"On va faire la cocotte", pièce de Georges Feydeau (1862-1921), est une partition inachevée. L'idée de boucler la narration en empruntant la conclusion à la nouvelle de Maupassant "Au bord du lit", offre un dénouement aussi inattendu que caustique. Ce vaudeville truculent, histoire d'adultère, de vengeance au féminin, brille par les traits d'esprit de dialogues ciselés portés par une distribution remarquable. La mise en scène de Jean-Paul Tribout, enjouée, très divertissante, embrasse la mécanique de précision du rire et vient finement souligner la réflexion sur la société, le mariage et le couple, la condition féminine, l'hypocrisie masculine. 

Amélie Tribout imagine une scénographie inventive, dispositif qui modernise avec panache le concept des portes qui claquent. Sur le plateau nu, des caisses de déménagement simulent le mobilier d'un intérieur bourgeois, caissons dont jaillissent les personnages au gré de leurs interventions. 

Feydeau décrypte les dynamiques de couples pour mieux dénoncer les diktats de la morale bourgeoise qui ne s'applique qu'aux femmes, injonctions à la vertu à géométrie variable, aborde avec une audace redoutable pour son époque le thème de la sexualité des femmes. A début du XXème siècle, le souci de la réputation ne concerne que les dames tandis que les messieurs s'accordent toutes les libertés de moeurs en compagnie de femmes galantes.




La fantaisie débridée du texte, sa cocasserie nourrit une énergie particulière, une effervescence contagieuse que les comédiens incarnent avec vivacité. Sur le devant de la scène, le trio féminin de caractère se veut féministe avant l'heure. Caroline Maillard, irrésistible Emilienne associe malice et naïveté, nuance avec justesse un personnage contrasté, sens du texte, des ruptures de ton. Claire Mirande dans le rôle d'Olympe, coquette, déjà désabusée, donne à sentir les fêlures, les inquiétudes de celle qui craint ne plus parvenir à séduire. Julie Julien prête une gouaille délectable à sa Blanche au tempérament volcanique. Samuel Charle, très drôle également, prête ses traits au jeune parasite qui vit à ses crochets, étudiant un peu lunaire qui fantasme sur les bourgeoises. Jean-Paul Tribout, en sémillant Alcide, redoutable de mauvaise foi, est remarquable. Dario Ivkovic accompagne à l'accordéon cette jolie troupe.

Un véritable plaisir, un moment de théâtre tout à fait savoureux.

On va faire la cocotte, de Georges Feydeau
Jusqu'au 18 juin 2023 
Du mardi au samedi à 18h30 - Dimanche 15h

Texte Georges Feydeau
Mise en scène Jean-Paul Tribout
Assistant mise en scène Xavier Simonin
Avec Caroline Maillard, Claire Mirande, Julie Julien, Samuel Charle et Jean-Paul Tribout 
Scénographie Amélie Tribout
Lumières Philippe Lacombe
Costumes Julia Allegre
Musique Dario Ivkovic
Production Scène et Public
Coproduction Sea Art
Soutien ADAMI

Lucernaire 
53 rue Notre-Dame-des-Champs - Paris 6
Tél : 01 45 44 57 34
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.