Lundi Librairie : Rendez-nous la Joconde ! et autres malentendus franco-italiens - Stefano Montefiori


Correspondant à Paris du "Corriere della Serra", Stefano Montefiori livre un essai riche d'informations et d'anecdotes, réflexion où la légèreté, l'humour s'associe à un décryptage sociologique, historique pertinent. "Rendez-nous la Joconde ! et autres malentendus franco-italiens" retrace histoire et passions communes de deux nations soeurs, la France et l'Italie, dont les relations tournent parfois à l'aigre. Il existe un grand quiproquo entre les deux peuples. Les Italiens sont convaincus d'être les victimes privilégiées de l'arrogance française alors que dans les faits les Français affirment un amour sincère pour l'Italie, une admiration insoupçonnée au-delà des Alpes. Les Hexagonaux professent une passion la cuisine transalpine, simple et savoureuse, les spritz en terrasse, la Toscane, les ballades sirupeuses, le cinéma de Paolo Sorrentino. Avec drôlerie, esprit et poésie, Stefano Montefiori pointe les différences, les incompréhensions, les ressentiments, réflexion précise. Il se penche sur la façon dont sont perçus les Français en Italie. Le propos alerte, informé, s'arroge la mission de pénétrer la psyché italienne.

Selon Stefano Montefiori, les Italiens considèrent les Français comme le summum de la sophistication et se sentiraient un peu les gauches cousins de province. Une sorte de complexe d'infériorité infondé que l'auteur s'amuse à déconstruire en quatorze chapitres savoureux. Pour les Français, l'Italie incarne l'art de vivre, la mode, l'élégance, la gastronomie, le patrimoine. Agacés par les clichés pizza et mandoline, appliqués même à l'Italie du Nord, les Italiens ont le sentiment d'être déconsidérés.

Né à La Spezia, en Ligurie, Stefano Montefiori vit et travaille à Paris. Il nourrit un amour pour les deux nations auxquelles il se sent appartenir, son pays natal et celui d'adoption où grandissent ses enfants. Il découvre la France en tant qu'étudiant Erasmus. Par la bienveillance d'un artiste croisé quelques instant qui lui fait confiance et lui prête son logement, il se retrouve à Paris dans l'appartement atelier précédemment habité par Simone de Beauvoir. Les hasards de la vie. Première pierre d'un amour fervent.

Stefano Montefiori déplore la rivalité persistante entre la France et l'Italie fruit de l'histoire. Il s'attache à trouver des solutions pour la surmonter grâce à la connaissance réelle de l'autre, détachée des stéréotypes, ou même des fantasmes. Il détermine des pistes pour construire la réconciliation tout en évitant de crisper les sensibilités de part et d'autre. Il décrypte avec humour et pertinence les rancoeurs, lève le voile sur des méprises remontant à la Renaissance. Par exemple, le malentendu autour de la Joconde qui donne son titre à l'ouvrage. Le tableau a été offert par Léonard de Vinci au roi François Ier en échange d'une pension annuelle. Une partie des Italiens pensent que la toile a été subtilisée à une date ultérieure et devrait se trouver en Italie. En 1911, un ouvrier italien travaillant au Louvre vole le tableau convaincu que Napoléon l'avait dérobé à l'occasion de la campagne d'Italie, campagne qui donna lieu à de nombreux pillages des trésors italiens. Dans la même veine, certains songent à réclamer que Nice et la Savoie soient rendus à l'Italie.

Le raffinement de la gastronomie française née dans les palais pour sustenter les aristocrates de la cour semble s'opposer à l'apparente simplicité des nourritures italiennes, plats populaires par excellence. Ainsi les Français commettent de véritables crimes de lèse-majesté envers la cuisine italienne, dont ils reproduisent mais détournent les recettes originales. Dans un processus d'"appropriation culturelle", ils bafouent allègrement les règles de l'art. Les aberrations se multiplient : la crème fraîche à la place de l'oeuf dans les pâtes à la carabonara, la mozzarella partout tout le temps, le parmesan même sur les plats à base de fruits de mer. L'auteur regrette l'impossibilité de trouver un cappucino correct à Paris malgré la simplicité de la préparation. Il dénonce les imposteurs, les pâtes Panzani, originaires de Panthenay en France, tandis que comble de l'ironie "panzana" en italien signifie "blague". Stefano Montefioro vilipende la pizza Margherita devenu produit de luxe en France dans les néo bistrots bobos. Pour le même prix, il préfère déguster une douzaine de fines de claire Marennes Oléron.

L'Italie, jeune république, constituée tardivement en nation unitaire à la fin du XIXème siècle complexe vis-à-vis de l'ancien état français. Pays centralisé, l'Hexagone entretient une relation entre capitale et régions très différente. L'Italie décentralisée accorde une grande importance aux régions et aux villes. La rivalité entre les deux pays, fruit de l'histoire, semble persister. Stefano Montefiori s'attache à trouver des solutions pour la surmonter grâce à la connaissance réelle de l'autre, détachée des stéréotypes, ou même des fantasmes. Il détermine des pistes pour construire la réconciliation tout en évitant de crisper les sensibilités de part et d'autre. Lors d'une incursion à Milan Rome, Naples, il fait l'éloge de Marseille, se penche sur le foot français, "le calcio champagne", surnom piquant pas seulement un compliment.

Plus sérieusement, il éclaire le rapport à l'Europe de l'Italie, son europhilie déçue qui entretient le sentiment d'abandon. La crise migratoire renforce les tensions entre France et Italie, reproche du manque d'aide de l'une envers l'autre. La discorde entre les deux pays en 2018 et 2019 a abouti au rappel des ambassadeurs. Désormais les rouages de la politique italienne alimentent le mécontentement. L'élection de Giorgia Meloni, d'origine populaire, symbolise la rupture entre les élites et le peuple, la démocratie en crise.  

Rendez-nous la Joconde ! et autres malentendus franco-italiens - Stefano Montefiori - Éditions Stock



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.