Ailleurs : Collection Pierre Soulages au Musée Fabre de Montpellier, parcours dédié au maître de l'Outrenoir

 


Le Musée Fabre de Montpellier conserve la plus grande collection Pierre Soulages (1919-2022) au monde, trente-trois toiles réalisées de 1951 à 2012. L'institution a consacré deux expositions monographiques au peintre du noir et de la lumière en 1975, 1999 puis un dernier hommage à l'occasion de son décès en 2022. L'accrochage du fonds Soulages au Musée Fabre rend compte du lien privilégié noué entre l'artiste, l'institution culturelle et la Ville de Montpellier. En 1940, à la suite de l'Armistice, Pierre Soulages s'installe en zone libre. A Montpellier, il fréquente assidument le Musée Fabre où il admire en particulier les Courbet. De 1941 à 1942, il prépare le professorat de dessin à l'École des Beaux-Arts. Là, il rencontre Colette Llaurens. Ils se marient en octobre 1942 à Sète, ville natale de la jeune femme. Pierre Soulages ne réinvestit pleinement sa pratique picturale qu'au lendemain du conflit mondial. Le succès international est immédiat. 

Le fonds Soulages du Musée Fabre se constitue par étapes successives dès la veille de l'an 2000. La Ville de Montpellier achète en 1999 deux Outrenoirs réalisés en 1996. La donation Pierre et Colette Soulages en 2005, vingt toiles emblématiques, représentatives de la carrière des années 1950 à nos jours, change la donne. L'ensemble est complété par un dépôt de huit oeuvres en 2007. Un polyptique de 2012 rejoint les collections du musée en 2013, suivi en 2016 de deux nouveaux dépôts en provenance du Musée de Rodez. Au trente-trois tableaux, de 1951 à 2012, s'ajoute temporairement en 2019, prêt de vingt-quatre mois, une toile de 1959 acquise par un collectionneur privé chez Christie's. 

La collection Soulages du Musée Fabre pose un regard unique sur l'oeuvre, la carrière, l'évolution de l'artiste et invite à redécouvrir son parcours esthétique et technique par étapes. 








Les architectes Olivier et Brochet et Emmanuel Nebout en collaboration avec l'artiste ont imaginé l'espace Soulages inauguré lors de la réouverture du Musée Fabre en 2007 afin d'exalter les qualités plastiques des oeuvres. La façade nord du bâtiment recouvert d'écailles de verre texturé se déploie en panneaux à effet "feuilles de calque". La lumière ainsi diffusée, unique, adouci, révèle les moires des noirs profonds. " Ici, non seulement le reflet est pris en compte, mais il est partie intégrante de l’œuvre : il y intègre la lumière que reçoit la peinture – lumière changeante si c’est la lumière naturelle – et la restitue avec sa couleur transmutée par le noir. " confiait le maître de l'Outrenoir au sujet de ces salles dédiées. 

Le parcours dédié du Musée Fabre ouvre sur des oeuvres de la fin des années 1950. Jeu de transparence, effets de strates obtenus par "raclage" ou "arrachage", elles éclairent un nouveau procédé employé dès 1957. Pierre Soulages réinvente sa technique en même temps qu'il se livre à l'abstraction pure. Il emploie tout d'abord la surface entière de la lame de ses couteaux à peindre. Sur un fond uni, une première couche de couleur appliquée est recouverte d'une seconde noire. Le peintre ensuite procède par raclage. Dans un même geste précis, il retire la matière, la creuse, révèle la couleur des couches inférieures à travers le noir profond de surface. Il initie un dialogue chromatique. Modelage de la matière, il met à jour, dans un rituel quasi archéologique, des strates géologiques. Ses outils évoluent, plus larges, plus souples. Il utilise notamment de grandes lames de caoutchouc. Ses premières recherches initient son exploration du clair-obscur, le noir qui révèle la lumière, la couleur par répétition du mouvement.










Entre 1960 et 1970, il réinvente à nouveau sa pratique qu'il qualifie désormais de peinture "cistercienne". Il tend vers une sobriété, une épure radicale. Les oeuvres présentées au Musée Fabre soulignent l'influence de la vie privée et du logement. Pierre et Colette Soulages emménagent dans leur maison de Sète édifiée sur mesure selon leurs propres plans. Les volumes inédits de l'atelier favorisent l'expansion des formats, le déploiement horizontal, la tentation d'un démarche panoramique. Sur fond blanc, la palette se restreint à la bichromie, noir blanc, noir bleu. La matière acquiert une fluidité inusitée, qualité graphique. Ces "macrographies" selon le terme employé par le critique américain Harrold Rosemberg illustrent le recours au geste calligraphique qui imprime dynamique, mouvement à la toile.  

Progressivement, le processus se fait plus ramassé, obliques ascendantes, bandes descendantes. Les signes investissent l'espace au-delà des bords, dépassent le champ d'action pour accéder au champ mental. Le "noir-lumière" frissonne, sensualité de la matière, velouté. En 1979, lors d'une séance, Pierre Soulages constate presque malgré lui l'envahissement progressif du noir jusqu'à recouvrir entièrement la toile. Véritable épiphanie, l'épisode marque la naissance des "Outrenoirs".








En parallèle tout au long des années 1980, le peintre travaille sur les polyptiques, panneaux assemblés à la façon des retables d'église. Entre 1984 et 1987, il mène des recherches au sujet de la peinture religieuse et de l'art sacré. Le Ministère de la Culture le charge de réaliser les 104 vitraux de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques dans l'Aveyron, en remplacement de ceux posés en 1952.

Au Musée Fabre, la scénographie emprunte le chemin fantasque du tour de magie. Les grands panneaux  flottent dans les airs, suspendus par des filins lancés entre le sol et le plafond. Le dispositif, imaginé pour la première fois à l'occasion de la rétrospective Soulages du Houston Museum of Fine Arts en 1966, révèle les coulisses du châssis visible, matérialité primitive de l'oeuvre. Les textures alternées scandent une matière versatile, lisses, striées, rayées, éraflées tandis que la trace de l'outil, perceptible, éclaire les transitions, mémoire de l'ouvrage.







Le blanc revient en 2001 dans une chorégraphie d'entrelacs clair-obscur, un "traitement flou des frontières".  L'usage inédit d'une large brosse recouverte d'un chiffon et l'application perpendiculaire à la toile provoque un effet particulier. La matière brute de la toile se manifeste au travers des fines lignes. Les contours de flots démontés embrassent le mouvement de la vague. Le blanc guide la trace du noir, triomphe de la lumière sur l'obscurité.

Collection Soulages - Salles 46-47

39, boulevard Bonne Nouvelle - 34000 Montpellier 
Tél : +33 (0)4 67 14 83 00
Horaires : Du mardi au dimanche de 10h à 18h - Fermé le lundi




Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.