Sculptrice, céramiste, artiste détachée de toute chapelle, Valentine Schlegel (1925-2021) ancre sa recherche plastique dans les usages du quotidien. Elle revendique l'idée de distiller des doses de poésie au jour le jour par le biais d'oeuvres porteuses d'une vitalité, d'une force à laquelle s'associe la sensualité des courbes organiques. L'Hôtel Sabatier d'Espeyran, département des arts décoratifs du Musée Fabre de Montpellier, rend hommage à l'indépendance d'esprit de cette plasticienne à travers une courte exposition rétrospective, "Valentine Schlegel, l'art au quotidien". Céramiques, vases, vaisselles, couverts de bois, objets personnels, la sélection illustre les pans contrastés de son travail et rend compte d'une production variée, d'une démarche plurielle.
Native de Sète, l'île singulière, selon le mot du poète Paul Valéry, demeure pour Valentine Schlegel un lieu d'ancrage et de créativité tout au long de sa vie. Le contexte familial et des liens d'amitié noués très tôt, avec les Sétois Agnès Varda (1928-2019) rencontrée à l'adolescence, Jean Vilar (1912-1971) qui devient son beau-frère dans les années 1950, impriment leur marque sur l'orientation de sa carrière. Valentine Schlegel est issue d'une famille d'artisans. Le grand-père ébéniste et le père restaurateur de mobilier bénéficient d'une renommée locale flatteuse. La pratique artistique se perpétue avec les deux soeurs aînées, Andrée Vilar (1916-2009), peintre, illustratrice, poétesse, Suzanne Schlegel-Fournier (1919-2007) photographe, puis Valentine. En 1942, Andrée et Valentine présentent leur candidature aux Beaux-Arts de Montpellier. Le père intervient lui-même lors du dépôt des dossiers afin que ses filles intègrent l'école. Les deux soeurs entretiennent une grande complicité artistique. Paradoxalement, Valentine boude les cours de sculpture et reporte son attention sur le dessin, la peinture. Au lendemain de la guerre en 1945, elle rejoint Paris en quête d'émancipation. Jusqu'en 1951, elle partage un atelier rue Vavin avec Frédérique Bourguet, camarade des Beaux-Arts, qui l'initie à la sculpture et la céramique. Dans le même temps, Valentine Schlegel poursuit son travail sur les objets utilitaires en bois, en cuir.
Andrée Schlegel épouse Jean Vilar (1912-1971). Comédien, metteur en scène, il fonde le Festival d'Avignon en 1947. Lors de cette édition inaugurale, trois spectacles sont créés. Valentine Schlegel signe les décors de la pièce "L'histoire de Tobie et de Sara" de Paul Claudel, les costumes et les décors de "Richard III" de Shakespeare. Jusqu'en 1951, elle s'investit deux mois par an dans les préparatifs de l'événement. Elle occupe différentes positions, décoratrice, régisseuse, conseillère artistique, costumière et fait la connaissance de Jeanne Moreau, Sylvia Montfort, Catherine Sellers, Gérard Philippe. En 1954, Valentine Schlegel devient directrice artistique sur le tournage du film "La Pointe Courte", premier long-métrage de son amie d'enfance, Agnès Varda.
Au cours des années 1950, Valentine Schelgel participe du renouveau de la céramique. De 1951 à 1957, elle occupe un atelier rue Daguerre avec sa soeur Andrée Vilar. Elles explorent les possibilités plastiques de la céramique. Valentine Schlegel produit une série de vases en céramique montés au colombin, technique élémentaire d'empilement boudins de glaise employée depuis la préhistoire. Facture rustique. Par la suite, elle découvre la céramique portugaise notamment la faïence au chamoté, argile lisse agrémentée de chamotte, sorte de sable qui donne de la structure à la matière lors du façonnage. En 1955, elle partage l'affiche d'une exposition dédiée à la céramique avec Elisabeth Joulia à la galerie La Roue, suivie l'année suivante d'un deuxième évènement commun à La Demeure avec Mario Prassinos et sa sœur Andrée Vilar.
A l'Hôtel Sabatier, la salle principale de l'exposition "Valentine Schlegel, l'art au quotidien" présente sept vases emblématiques produits à partir de 1954. L'artiste s'inspire des formes organiques, des arts antiques du bassin méditerranéen et déploie une palette de couleurs naturelles, pastel, gris bleuté ardoise, vert amande, terre rouge. La juxtaposition des oeuvres souligne l'évolution de la pratique vers une épure des formes. Elles gagnent en simplicité, en rondeurs sensuelles. Valentine Schlegel cherche ses modèles non pas vers la sculpture mais plutôt dans la peinture, les dessins des modernes, notamment Georges Braque ou Pablo Picasso. Ces vases représentent une certaine idée de l'art de vivre. La céramiste aime notamment composer des bouquets qu'Agnès Varda photographie pour la postérité.
A partir de 1957, dans la maison-atelier de la rue Bezout, Valentine Schlegel étend sa démarche artistique au modelage des espaces, conception d'un art total. Elle modifie l'architecture d'intérieur de son domicile qui devient progressivement lieu d'exposition et de vente. A l'Hôtel Sabatier d'Eysperan, une douzaine de maquettes et une série de photographies capturées sur les chantiers par sa soeur Suzanne Fournier-Schlegel rendent compte d'une nouvelle pratique qui lui apportera la reconnaissance : les cheminées. Réalisées au domicile de particuliers, ces créations séduisent le monde du spectacle. Au cours des années 1970, Valentine Schlegel intervient chez Jeanne Moreau ou encore Gérard Philippe.
En 1959, Valentine Schlegel imagine sa première cheminée dans des circonstances anecdotiques. Elle vend un grand vase à un couple d'amis. Pas convaincue par l'esthétique de leur intérieur, elle imagine un environnement propice à l'accueil de cet artefact, une cheminée idéalisée qui remplacera celle d'origine. Valentine Schlegel initie un processus artistique qui ne changera pas. Elle modèle une maquette à échelle 1/10 sans dessin avant d'exécuter le projet in sitù, avec truelles et plâtre. Lignes épurées, blancheur immaculée, les cheminées qu'elle produit se distingue par leur manteau de staff aux formes organiques, effets de volutes et de drapés. Selon les variations, elle intègre des étagères, des vide-poches, des sièges. De 1959 à 2002, assistée par Frédéric Sichel-Dulong, artiste et ancien élève, elle réalise une centaine de cheminées aux dimensions variables dont l'inventaire n'a toujours pas été finalisé.
En 1975, Denise Majorel invite Valentine Schlegel à exposer dans le cadre de la galerie La Demeure. Cette première rétrospective réunit maquettes, bas-reliefs, vases, mobiles en bois et photographies des cheminées réalisées par sa sœur Suzanne Fournier-Schlegel. A l'occasion de l'exposition, Valentine Schlegel crée une sculpture-mobilier en plâtre in sitù afin de présenter ses vases.
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