A Jérusalem-Ouest, la maison de la rue Dor-Dor-veDorshav est construite, déconstruite, reconstruite au gré de l’Histoire, des propriétaires, des occupants. Ouvrage sans cesse recommencé, elle est habitée au fil des ans par des familles palestiniennes, israéliennes. Un architecte construit une nouvelle villa pour une famille juive sur les ruines de l’ancienne demeure des Dajani, famille palestinienne chassée par les milices israéliennes en 1948 et réfugiée en Jordanie. Mahmoud Dajani, vieux médecin, a grandi là. Il se souvient des jours de joies puis de l’exil contraint et de l’expropriation rendue possible par la « loi sur la propriété des absents ». La Maison, réquisitionnée par l’Etat israélien, est alors louée à un couple de Juifs algériens, les Touboul. La maison vendue se transforme et les résidents se succèdent. Dans les années 1970, un nouveau couple venu de Suède s’installe. Claire atteste de l’attachement à cette maison, foyer recréé après l’errance. Micha Kishka, artiste belge, porte en lui la mémoire de l’Holocauste, le trauma d’une famille juive d’Europe Centrale décimée par la Shoah. L’architecte en charge du chantier, les ouvriers arabes, les voisins prennent la parole.
Pièce politique, sensible, « House » met en scène la parole de ceux qu’Amos Gitaï a interrogé à l’occasion du tournage des trois documentaires, « Maison » réalisé en 1980, « Une maison à Jérusalem » en 1997 et « News from home News from house » en 2005. Le premier documentaire censuré, est interdit en Israël dès sa sortie. « House » lie dans un même mouvement les témoignages des personnes qui ont vécu dans une maison de Jérusalem-Ouest. La parole déployée, matière vive de l’adaptation théâtrale, trace en creux le portrait d’un pays, en décrypte l’intimité la plus douloureuse. En hébreu, en arabe, en anglais, en yiddish, en français, les fragments biographiques prennent place dans cette demeure allégorique, trace architecturale, mémoire de la construction d’Israël. Propriétaires, résidents, architecte, ouvriers, voisins, archéologue, les récits entremêlés des générations successives, traversent l’Histoire du XXème siècle. Dans une position de retrait, de neutralité, Amos Gitaï interroge le retour aux origines, les joies, les souffrances, raconte les exils et les diasporas, les destinées contrariées. Il fait oeuvre de mémorialiste.
Au théâtre de la Colline, un grand chantier entre deux échafaudages occupe le plateau. Des écrans diffusent les archives d’Amos Gitaï qui nourrissent le récit. Les vidéos capturées dans les rues de Jérusalem alternent avec les images filmées en direct. Les comédiens circulent à travers cette structure mouvante des espaces réagencés au gré des époques et des transformations de la maison.
A travers les paroles données qui disent les doutes, la colère, la résignation, « House » raconte les soubresauts de l’Histoire : la mémoire de la Shoah, la naissance de l’Etat d’Israël en 1948, la première guerre israélo-arabe, la « Nabka » déplacement forcé de 700 000 Palestiniens, envoyés dans des camps au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Les drames humains se succèdent. La Guerre des Six Jours 5-10 juin 1967 oppose Israël à l'Égypte, la Jordanie et la Syrie. A la suite de la conquête de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza, débute la colonisation israélienne. La Guerre de Kippour (6-24 octobre 1973) oppose Israël à une coalition militaire arabe menée par l'Égypte et la Syrie.
Amos Gitaï, Marie-José Sanselme, Rivka Gitaï, qui ont adapté pour la scène les témoignages recueillis dans le cadre des films documentaires, se placent dans la position d’une écoute pacifiste. Ils affrontent sans filtre la réalité politique. Les interventions successives rendent compte des tensions, de l’importance des racines, de la fraternité nécessaire. Elles reviennent sur l’utopie de la paix et de la cohabitation des peuples, les espoirs déçus de la réconciliation, le ressentiment palestinien.
Treize comédiens incarnent des histoires, des points de vue très personnels, les individualités marquées par des cultures, des religions, des langues différentes. Micha Lescot dans le rôle du nouveau propriétaire et l’artiste belge, est remarquable de finesse, d’intensité maîtrisée. Irène Jacob, qui prêté ses traits à Claire livre une partition sensible. Minas Qarawany et Atallah Tannous portent la parole des ouvriers palestiniens, une inquiétude palpable. Dans leurs mots, aux regrets se mêlent l’amertume, le désir de revanche. Quand l’aveu d’impuissance devient trop douloureux, que la coexistence paraît irrémédiablement compromise, des intermèdes chantés interviennent. Le chœur dirigé par Richard Wilberforce associe des musiciens israéliens et iraniens. Un spectacle poignant, troublant, important.
House, d'Amos Gitai
Jusqu’au 13 avril 2013
Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
Spectacle en français, anglais, arabe, hébreu surtitré en français et anglais
Texte et mise en scène Amos Gitai
Avec Bahira Ablassi, Dima Bawab, Benedict Flinn, Irène Jacob, Alexey Kochetkov, Micha Lescot, Pini Mittelman, Kioomars Musayyebi, Menashe Noy, Laurence Pouderoux, Minas Qarawany, Atallah Tannous, Richard Wilberforce
Assistanat à la mise en scène Talia de Vries, Anat Golan
Adaptation du texte Marie-José Sanselme, Rivka Gitaï
Scénographie Amos Gitaï, assisté de Philippine Ordinaire
Costumes Marie La Rocca, assistée d’Isabelle Flosi
Lumières Jean Kalman
Son Éric Neveux
Chef de choeur Richard Wilberforce
Collaboration vidéo Laurent Truchot
Maquillage et coiffure Cécile Kretschmar
Préparation et régie surtitres Katharina Bader
Construction du décor atelier de La Colline – théâtre national
Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun - Paris 20
Tél : 01 44 62 52 52
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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