Expo : Eugenio Tellez. L'Ombre de Saturne - Maison de l'Amérique Latine - Jusqu'au 22 avril 2023

 

L'artiste chilien Eugenio Tellez expose à la Maison de l'Amérique Latin une large sélection d'oeuvres récentes, seize années après sa grande rétrospective, "Le sourire de Saturne" au Musée des Beaux-Arts de Santiago. L'événement parisien, "L'Ombre de Saturne", s'inscrit dans une continuité thématique naturelle, second épisode d'une même série qui tend à matérialiser la mémoire contemporaine, les strates traumatiques de l'Histoire. Peintures, collages, dessins, sculptures, écrits, photographies, techniques empruntées à la gravure, le burin, la pointe sèche, l'eau-forte, l'oeuvre protéiforme d'Eugenio Tellez associe les médiums, les moyens d'expression. Sa pratique pluridisciplinaire embrasse une grande diversité de styles, de matériaux hétéroclites. La matière picturale même est prétexte à étendre les champs d'expérimentation. Elle cultive le lien entre le support, la surface et le propos métaphorique. Ces compositions matérialisent les soubresauts de l'Histoire, la rage d'un tropisme guerrier dévastateur. Tellez fait oeuvre de conservation, à la fois collectionneur d'événements et archéologue des territoires disloqués. Il pose en observateur des échanges belliqueux tout en s'inventant créateur de récits d'effondrement. Pour tenter de comprendre le chaos, il documente, décrypte les convulsions du monde, ausculte la mémoire collective. La narration condensée dans un contexte mondial de guerre retrace les épisodes violents du XXème siècle auxquels l'artiste agrège les mythes, les traditions culturelles. Il exploite l'iconographie de la guerre afin de dire le désenchantement, la désillusion engendrée par l'échec des mouvements libertaires, la défaite des révolutions en Amérique Latine. Alimenté par l'expérience personnelle et l'Histoire universelle, l'art d'Eugenio Tellez se veut guérisseur, rédempteur, remède à l'horreur, lueur d'espoir.








Eugenio Tellez nait en 1939 au Chili. Il intègre les Beaux Arts de Santiago en 1957. Diplômé en 1959, il rejoint Paris à l'âge de vingt-et-un ans afin de poursuivre sa formation dans le domaine de la gravure. En 1962, il se distingue lors de la Biennale de Paris à l'occasion de laquelle il reçoit dans cette discipline, un premier prix. De 1962 à 1969, il oeuvre au sein de l'Atelier 17 du peintre et graveur Stanley W. Hayter, éditeur d'artistes tels que Pierre Alechinsky, Marcel Duchamp, Jacques Herold, Gino Severini. 

Eugenio Tellez fait ses débuts d'enseignant à l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign aux Etats-Unis en 1966 puis devient directeur de l'atelier graphique Ben Shahn en 1969. De 1970 à 1994, il dispense des cours à l'Université d'York à Toronto au Canada. En parallèle, il parcourt le monde, voyage à travers l'Amérique du Sud, les Etats-Unis, le Canada et collabore avec de grands noms des arts plastiques. 








Tableaux aux surfaces altérées, rongées par les acides, tachées par le crayon graphite, par l'acrylique, le goudron, Eugenio Tellez développe une esthétique de la reconstitution. Il prélève le réel à un niveau élémentaire pour le reformuler. Superposant des fragments d'images, il multiplie les suites discontinues de signes contradictoires. Les pictogrammes associés en diagrammes complexes compose un répertoire de motifs signifiants, identifiables dont la récurrence vient souligner l'ironie, l'acidité. 

La formule plastique s'inspire du concept d'"Atlas Mnémosyne" de l'historien d'art allemand Aby Warbug (1866-1929) qui entre 1921 et 1929 a réuni un corpus d'images dans l'objectif d'écrire une nouvelle histoire comparative de l'art basée uniquement sur l'image, et d'ainsi renouveler les conditions de lecture, d'interprétation de ces signes. Eugenio Tellez a développé sa propre banque d'images, atlas personnel, bibliothèque dans laquelle il puise.








Griffonnages, croquis, bande-dessinée et photographies prises au hasard deviennent preuves des catastrophes advenues. Eugenio Tellez déconstruit l'iconographie guerrière pour mieux dénoncer l'horreur, la violence, la destruction. Cet enchevêtrement, tentative d'épuisement du sujet, revisite le monde par le détournement d'images familières, citations graphiques souvent issues de l'histoire de l'art. Le plasticien confère une place importante à la littérature. Les extraits de texte en français, en anglais, en espagnol ponctuent ses oeuvres, illustration tangible de sa proximité avec les poètes et les écrivains sud-américains. Ses oeuvres témoignent d'un rapport particulier à la littérature. A la MAL, la vitrine armurerie met en scène des révolvers littéraires ésotériques comme autant d'hommages aux écrivains, Sade, Trotsky, Walter Benjamin et son ange de l'Histoire. Eugenio Tellez s'empare d'objets trouvés, de débris, tels ces fragments d'un vase japonais brisé, ces morceaux d'os, de bois pour leur donner la forme d'armes de guerre. Selon lui plus influencé par les hommes de lettres que par les arts visuels, il revendique la force des mots contre la violence. 

Exploration de la portée plastique des cartes, Eugenio Tellez créé des planisphères qui recontextualisent son propos dans un cadre diplomatique, situent géographiquement son récit que ce soit dans un environnement existant ou une fiction allégorique. Les territoires traversés par le souffle de l'Histoire, deviennent des manifestations, réelles ou imaginaires, au service d'un récit articulé autour d'assemblages inattendus. La toile, champ de bataille métaphorique, incarne le lieu des luttes complexes et ancre la narration dans une réalité alternative. 









A l'occasion de l'exposition "L'Ombre de Saturne", il initie une réflexion inédite articulée autour de thématiques récurrentes, matière esthétique propice à l'expression d'un engagement, découverte de l'Amérique, colonisation, identité culturelle, conflits actuels, mythologies contemporaines. Les tableaux parcourus de sillons éclairent les ruines des civilisations que ponctuent des corps sans vie comme autant d'itinéraires personnels tragiques. Cette puissance visuelle des mondes violents mêle l'intime et l'universel. Caractéristiques abstraites, formes industrielles, iconographie de la guerre, l'oeuvre d'Eugenio Tellez intrique intimement les contraires, nourrit les paradoxes par la grâce des détournements de signes. L'artiste sait à l'occasion renouer avec sa capacité intacte d'émerveillement, les réminiscences enfance. Contemplation des étoiles, des anneaux de Saturne, des lucioles. Surgissement de la beauté, pure et tendre au coeur du chaos sanglant.

Eugenio Tellez. L'Ombre de Saturne
Jusqu'au 22 avril 2023

Maison de l’Amérique Latine 
217 boulevard Saint-Germain - Paris 7
Tél : 01 49 54 75 00
Horaires des galeries d’exposition : Du lundi au vendredi de 10h à 20h - Le samedi de 14h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.