Expo Ailleurs : Pluie sur mer - Minia Biabiany - Le Grand Café - Saint-Nazaire - Jusqu'au 31 décembre 2022

 


L’exposition « Pluie sur mer » de Minia Biabiany se tient au Grand Café de Saint Nazaire jusqu’au 31 décembre 2022. Elle prolonge le propos de celle déployée dans le cadre du Palais de Tokyo, « Difé ». Minia Biabiany, née en 1988 à Basse-Terre en Guadeloupe, vit et travaille à Saint-Claude. Elle emprunte la voie de la poésie, de la philosophie pour donner forme à la pensée décoloniale et décrypter les rapports aux territoires caribéens, territoires dominés sous assimilation. Par son interprétation du réel contemporain, nourrie de pratiques activistes, Minia Biabiany propose une expérience de l’art comme moyen de résistance. Installation, sculpture, graphisme, vidéo, elle croise les pratiques, les médiums pour donner la parole aux autres et faire entendre sa propre voix. La plasticienne crée des espaces multiples, physique et psychique, politique et éthique. Son propos ancré dans l’histoire de la Caraïbe embrasse la mémoire de l’esclavage, l’exploitation de la terre et des corps, le déracinement, la racialisation des rapports sociaux. Minia Biabiany suggère de se détacher des carcans, d’affirmer et de dénoncer afin de guérir. Dans le prolongement de son travail de chercheuse, sa pratique artistique s’accompagne de la conception d’outils pédagogiques. 








A Saint-Nazaire, Minia Biabiany investit les trois espaces du Grand Café, dédiant chaque salle à l’un des éléments fondamentaux du territoire guadeloupéen, le vent, l’eau, le volcan. La première pièce transformée en salle de projection, convoque le souffle, le vent à travers deux vidéos « Learning from the white birds » et « Pawòl sé van ». 

En face, le deuxième espace invoque la mémoire de l’eau. Dans ce rapport à l’océan, Minia Biabiany fait lien entre Saint-Nazaire et la Guadeloupe. Elle évoque puissamment le commerce triangulaire et plus particulièrement le « Passage du milieu », le voyage transatlantique de l’est vers l’ouest subi par les populations enlevées en Afrique, réduites en esclavage, exploitées dans les Amériques, la Caraïbe. Les éléments épars nous racontent le déracinement, l’identité arrachée, les origines africaines oubliées, la relation terre-ciel les étoiles avec lesquelles les marins se guidaient ou encore la violence de l’assimilation. 

Au premier étage, une seconde installation, le magma, articule les éléments du cycle de vie et de mort à l’ombre du volcan tandis que les sols à l’origine si fertiles ont été irrémédiablement pollués par les pesticides, nouveau martyr des populations qui aujourd’hui en meurent, pour satisfaire l’avidité des industriels de l'agro-alimentaire soutenus par l’Etat français. 







Variation politique et historique, « Pluie sur mer » au Grand Café de Saint Nazaire, se déploie au gré de deux installations immersives. Le corps à l’écoute de ses sensations, de ses émotions, vit une expérience esthétique et physique. La circulation imposée par les lignes de sel, de sable volcanique au sol nécessite de faire attention où poser les pieds. Le déplacement dans l’espace paysage s’en trouve modifier. Ralentir et lever les yeux au plafond. Flâner, se pencher sur une céramique finement ouvragée, une fleur de bananier séchée. Les éléments prolifèrent, indices du principe narratif alternatif. 

Minia Biabiany élabore des cabinets de curiosités organiques. Les matières naturelles, coton, bambou, bois, feuilles de bananier, sel, sable, s’associent aux matériaux transformés, aux éléments fabriqués, tissus, mâts, tiges de métal, céramiques, verre. La plasticienne fait résonner la mémoire des choses, rémanence poétique. La minutie de la forme, la précision de l’agencement initient un récit. L’élégance éthérée des installations et le caractère brut des matériaux hétéroclites qui les composent, produisent des contrastes singuliers. 







La charge symbolique des éléments employés lance des pistes narratives. Les feuilles de bananier séchées, tressées, évoquent la terre empoisonnée sur quatre à six siècles, par le chlordécone. Les traces durables dans l’environnement des violences infligées au territoire et aux populations traduisent un rapport à la nature destructeur. 

Les sols de la Guadeloupe sont dévastés par le chlordécone, pesticide utilisé dès les années 1970 par les acteurs de l’agroalimentaire pour lutter contre le charançon dans les exploitations de bananiers. La politique de monoculture afin d’alimenter les exportations vers la Métropole a conduit à un scandale sanitaire, l’utilisation généralisée d’un produit hautement toxique pour l’être humain. A partir des années 1980, l’Etat français a connaissance de la dangerosité de ce pesticide. Pourtant, il accorde des dérogations aux industriels afin qu’ils puissent continuer de l’utiliser. La nocivité est telle qu’aujourd’hui 90% de la population est contaminée, provocant cancer chez les hommes, retards mentaux chez les enfants. 

Les conques de lambi, coquillages musicaux, moyen de communication emblématique du marronnage, représentent l’histoire des révoltés qui sont parvenus à s’émanciper mais qui pourtant ne figurent quasiment jamais dans les récits officiels. Minia Biabiany se réapproprie les savoir-faire ancestraux, les techniques traditionnelles de tressage tel que le tissage des pièges à poisson en bambou.  







Minia Biabiany remet en question les outils de narration de l’histoire coloniale dans la Caraïbe, les récits sociaux, les héritages culturels dominants. Les structures de ces installations reprennent le concept d’opacité de ce récit, et plus largement du langage, pour le dénoncer. La narration politique croisée met en lumière les implications de la représentation. Afin de dénoncer la violence insidieuse des stratégies d’assimilation, d’uniformisation, la négation des identités, de l’altérité, elle invite à dépasser les modèles normatifs du langage façonnés par la colonialité, à déchiffrer les tensions du territoire. Ce questionnement identitaire de l’héritage géopolitique passe par la prise de conscience et la volonté de reconsidérer les luttes passées. 

Pluie sur mer - Minia Biabiany
Jusqu’au 31 décembre 2022

Le Grand Café Centre d’art contemporain
2 place des Quatre Z‘Horloges - 44600 Saint-Nazaire
Tél : + 33 (0)2 44 73 44 00



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.