Ailleurs : Porte de Mars, monument gallo-romain pacifique, mémoire de la cité de Durocortorum, ancêtre de la ville de Reims

 

Seule entrée cardinale de la cité gallo-romaine de Durocortorum à subsister de nos jours, la Porte de Mars, au Nord de la ville de Reims, se trouvait sur l’ancienne route vers Soissons et Bavay par le cardo maximus. De la Porte Bazée, porte Collatice, au Sud ne demeure qu’une pile. La Porte de Vénus ou de Soissons à l’Ouest a été démontée en 1755. Les découvertes récentes entérinent l’existence de la Porte de Cérès ou de Trèves à l’Est, démontée en 1798, dont il ne reste aucun vestige. Au début du Ier siècle après JC, Rome accorde le statut de « peuple fédéré » aux Rèmes pour leur fidélité à l’Empire durant la Guerre des Gaules. Cette nation gauloise d’origine belge peuple alors un territoire qui s’étend de la Marne à la source de l’Oise, de la région du Tardenois à l’Argonne jusqu’aux Ardennes. Les dernières recherches archéologiques datent la Porte de Mars du premier tiers du IIIème siècle. Les édiles de Durocortorum, opulente cité romaine, font édifier quatre arcs monumentaux, quatre portes situées aux quatre points cardinaux, symboles d’autorité. Si l’architecture des monuments s’inspire des arcs de triomphe, ces derniers, célébrations des victoires militaires, sont réservés exclusivement à Rome. La Porte de Mars, malgré une appellation évoquant le dieu de la Guerre et un temple voisin, incarne plutôt la prospérité de la province rendue possible grâce à la pax romana, la longue période de paix imposée par l'Empire romain aux régions conquises du Ier au IIème siècle après JC. 







L’oppidum de Durocortorum, place forte prospère au croisement des voies marchandes, est élevé au rang de « cité fédérée » indépendante au début du Ier siècle. Cette distinction récompense l’attitude des peuples Rèmes et les Eduens, seules nations gauloises à s’être ralliées au pouvoir romain lors de la Guerre des Gaules menée par Jules César contre les provinces gauloises encore libres de 58 à 51 avant JC. Durocortorum devient capitale de la Gaule Belgique sous Auguste, empereur de 27 avant JC à 14 après JC. La ville est aménagée selon les principes d’urbanisme romains. Les équipements urbains, voie empierrée, distribution d’eau courante, égouts, monuments somptuaires, portiques, bâtiments destinés aux institutions manifestent dans la pierre la puissance de cette cité. Mise en scène de l’opulence. L’axe de la ville est organisé selon un plan orthogonale marqué par quatre entrées cardinales. Les voies principales cardo maximus du nord au sud et decumanus de l’ouest à l’est qui les traversent, se croisent au forum central.  

La Porte de Mars au Nord se caractérise par ses proportions exceptionnelles. Il s’agit du plus long arc monumental du monde romain connu à ce jour, avec ses 32,4 mètres de long, 6,4 mètres de large et 13 mètres de haut. De nos jours, l’absence des parties sommitales ne permette pas, faute de témoignage de leur apparence, d’imaginer les superstructures disparues. Il manque notamment l’entablement et le couronnement. Composée de trois arcades de même niveau, le monument comporte huit colonnes. L’arche centrale, dans l’axe nord-sud de la ville conserve au sol les traces des dallages spécifiques gravé dans la pierre pour guider les roues des chariots. Les deux arcades latérales étaient réservées aux piétons.  







Sous les voûtes, les décors sculptés ont longtemps été préservés des dévastations, pris dans le mortier de la porte murée au Moyen-Âge et désengagée à la fin du XIXème siècle. La riche iconographie très étudiée dévoile des caractéristiques originales. Les reliefs sculptés de l’arcade centrale représentent un calendrier des activités agricoles et viticoles saisonnières. Les rares vestiges de ce type de calendrier n’existent en dehors de celui-ci que sous la forme de mosaïque. L’ensemble originel comportait douze scènes débutant en juin. Seules sept nous sont parvenues en état d’être déchiffrées. 

Les médaillons illustrent les forces économiques de cette province, la culture des céréales et la viticulture, le travail des laboureurs, moissonneurs, vendangeurs, meuniers. Les saynètes du pressage du vin et du foulage du raisin témoignent de la tradition du vin dans la région depuis l’Antiquité. Les récoltes avec des outils nouveaux, moissonneuse et faux, sont signe de haut développement technologique de la ville gallo-romaine. Sous la voûte de l’arcade Est, la scène représentant Rémus et Romulus allaités par la louve illustre une légende locale selon laquelle Rémus aurait fondé Reims. Sous l’arcade Ouest, la scène mythologique de Léda séduite par Jupiter sous la forme d’un cygne suggère un lien entre la dynastie royale et le divin. 

Jusqu’au milieu du IIIème siècle, la cité prospère. Une série d’invasions provoque une grave crise économique. Durant le Bas Empire, au IVème siècle, la réorganisation des espaces urbains manifestent la reprise des affaires. Un rempart reliant les quatre portes monumentales est édifié. L’enceinte délimite une ville vaste de soixante hectares. La Porte de Mars ainsi que les trois autres sont prises dans les fortifications. Elles conservent leur fonction d’entrées de la cité jusqu’au Moyen-Âge. 






1850


De nouvelles fortifications voient le jour entre le XIIIème et le XIVème siècles. La Porte de Mars est intégrée au rempart du château des Archevêques et murée vers 1228. Au XIVème siècle, une enceinte alternative est bâtie. Une autre entrée avec un pont levis, reprenant l’appellation Porte de Mars, est construite à une centaine de mètres à l’est. Cette porte médiévale disparue au XIXème siècle a fait l’objet de fouilles archéologiques en 2011.

La Porte de Mars antique est redécouverte lors de la démolition du château des Archevêques sur ordre d’Henri IV en 1595. Remise à jour, elle est partiellement dégagée en 1677. Cette action permet de consigner les premiers relevés des décors, ornements fortement dégradés depuis. Le monument n’est véritablement reconstitué qu’au XIXème siècle. Vers 1816/20, son importance est redécouverte à l’occasion du démantèlement des derniers remparts. Cet héritage atypique, patrimoine gallo-romain dédaigné, suscite un intérêt scientifique. La Porte de Mars est le premier monument rémois classé à l’inventaire des Monuments historiques en 1840 grâce à l’intervention de Prosper Mérimée. Entièrement extraite des remblais où elle se trouvait, elle fait l’objet d’une restauration partielle menée par Narcisse Brunette en 1844/45. La reprise du piédroit occidental côté Nord suscite de vives critiques quant à la méthode et au respect de la structure originelle. 





1853


Au XXème siècle, le monument fragilisé se trouve dans un état inquiétant. La couverture posée au XIXème ne remplit plus son rôle. Les infiltrations menacent. Les eaux de pluie stagnent sur le terrain en contrebas déstabilisant l’assise. La dégradation des parements et des décors a été accélérée par la pollution contemporaine. Au début des années 1980, la Porte de Mars souffre de la maladie de la pierre. Sous la croûte noire accumulée au fil des siècles, la pierre se délite, s’effrite attaquée par les polluants, l’acidité des pluies. Les décors sont menacés de disparition des décors à court terme. De 1982 à 1984, une opération d’envergure permet de les sauver grâce à un traitement de la pierre mis au point en Italie.  

En 2008, des fouilles mettent à jour les massifs de fondation des portes Ouest et Est, vestiges des arcs antiques rasés au XVIIIème siècle. Au début des années 2010, la Fondation du patrimoine soutient un projet de restauration globale de la Porte de Mars. La première étape menée par la ville de Reims sous la maîtrise d’oeuvre de François Chatillon, architecte en chef des monuments historiques sous le contrôle scientifique de la Direction régionale des Affaires culturelles débute en 2015. Elle se concentre sur les défauts structurels urgents. Une couverture en plomb est réalisée. Des aménagements permettent de canaliser les eaux de pluie. L’architrave est restituée. Des travaux de drainage autour du monument sont amorcés. A l’occasion de ce chantier, les échafaudages rendent possible une étude rapprochée de la pierre. La seconde étape, de 2020 à 2021, se penche sur la restauration des décors et des parements.

La Porte de Mars
Place de la République - 51100 Reims



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.