Ailleurs : Palais Idéal du Facteur Cheval, le rêve architectural d'un homme simple, histoire d'un monument emblématique de l'art naïf - Hauterives

 


Le Palais idéal du facteur Cheval attire chaque année à Hauterives, petit village de la Drôme, plus de deux-cent-mille visiteurs. Icône de l’art naïf, cette oeuvre hors norme est considérée comme l’une des plus grandes réalisations de l’architecture naïve. Ferdinand Cheval (1836-1924), modeste employé des Postes, imagine le plus singulier des édifices sans maîtriser aucune notion d’architecture ou de maçonnerie. Sa démarche des plus empiriques le pousse à inventer des techniques afin de donner forme à cette production détachée de toute forme d’académisme. Autodidacte visionnaire, il consacre trente-trois ans de sa vie à cette création monumentale "vue en songe". Un rêve de pierre élevé à mains nues par "un homme seul". Douze mètres de haut, vingt-six mètres de long, il traduit la fantaisie, la puissance d’un imaginaire, le goût du grandiose et de la démesure. De 1879 à 1912, le facteur Cheval fait naître de ses expérimentations formelles et techniques une construction à nulle autre pareille. Artiste bâtisseur qui s’ignore, il imagine une oeuvre universelle, syncrétisme culturel aussi spontané que naïf. Il s’inspire de revues telles que « Le magasin pittoresque », de vieux livres de contes illustrés, des références chrétiennes. Dans un même élan enthousiaste, il mêle temple khmer d’Angkor, Maison carrée d’Alger, château médiéval européen, chalet suisse, tombe de la Vallée des rois, grotte de la Vierge Marie, évangélistes et calvaire, histoire et mythologie. En 1904, Emile Roux-Parassac consacre un poème « Ton Palais » à la création de Ferdinand Cheval. Ce vers, « Ton idéal, ton palais. / C'est de l'art, c'est du rêve et c'est de l'énergie. » donne l’idée au facteur de rebaptiser son oeuvre, le Palais idéal. Il l’achève officiellement en 1912 à l’âge de soixante-seize ans. En 1994, la commune de Hauterives prend en charge la gestion de l’héritage du facteur Cheval. Frédéric Gros est nommé directeur et commissaire d’exposition du Palais idéal en 2019.








Né le 19 avril 1836 à Charmes-sur-l’Herbasse petit village à quelques kilomètres de Hauterives, Ferdinand Cheval est issu d’un milieu modeste. Il devient apprenti boulanger à l’âge de treize ans et exerce ce métier durant douze années. Le pétrissage et le façonnage inspireront plus tard son approche de la sculpture. Un temps ouvrier agricole, il débute sa carrière d’employé de l’administration des postes en juillet 1867. Deux ans plus tard, il est affecté à Hauterives sur la « tournée de Tersanne ». Au cours de ses longues marches, une dizaine d’heures par jour, le facteur Cheval rêve d’ailleurs, de paysages lointains qu’il ne connaît qu’à travers les cartes postales, les revues, les livres illustrés. Il caresse l’idée de bâtir un palais digne de ces songes.

Le 23 janvier 1879, à la suite du mariage de Ferdinand Cheval et Claire Philomène Richaud (1838-1914), le couple fait l’acquisition d’une parcelle constructible de 400m2 pour la somme de 240 francs, dans le quartier du Moulin à Hauterives. En avril 1879, lors d’une tournée journalière, Ferdinand Cheval trébuche sur une roche étrange, à laquelle il donnera le nom de « pierre d’achoppement ». Sa forme singulière l’interpelle. Elle réveille envie de se lancer dans la réalisation du Palais longtemps fantasmé. La date officielle du début de chantier est inscrite sur le tympan de la grotte de saint Amédée, saint patron de Hauterives. Le monument ne présente pas de forme précise dans l’imaginaire vagabond du facteur. Il va se laisser guider par son instinct et sa fantaisie. 








Ferdinand Cheval a quarante-trois ans et désormais, au fil des trente-deux kilomètres qu’il parcourt chaque jour, il glane des pierres afin de construire son Palais idéal. Sur son chemin, il met de côté les matières premières intéressantes, morceaux de tuf, grès, silex, galets. Une fois la tournée bouclée, il revient les chercher avec sa brouette. Dans le fond de la parcelle achetée en début d’année, il développe tout d’abord une fontaine dotée d’un bassin, « La Source de la Vie » achevée en 1881. Il attaque la création d’une seconde « La Source de la Sagesse » qu’il réalise entre 1881 et 1884. Aujourd’hui, ces deux éléments encadrent l’entrée de la grotte saint Amédée. 

Au fil des ans, le chantier prend de l’ampleur. L’acquisition de terrains permet un développement progressif de la structure. Homme simple, peu éduqué, Ferdinand Cheval est habité par son rêve. De façon très empirique, il empile les pierres, consolide la base avec du mortier, de la chaux, du gravier. Il taille les blocs. Au fur et à mesure, il s’invente techniques de construction. Le Palais idéal est bâti sur une ossature en pierre, parpaing conçus avec de la chaux, du sable, des graviers, des galets, de la cendre. Le facteur étoffe, agrège, reprend sans cesse les éléments achevés. Il utilise du ciment armé, du mâchefer. Pour les dalles de couvrement, il emploie des panneaux préfabriqués en ciment armé monté sur des armatures en fer.








Les voisins, les habitants de Hauterives le considèrent comme un illuminé, un excentrique inoffensif. Le Palais qui n’est pas habitable ne semble pas avoir d’utilité. Dès 1882, une première extension vers le Nord offre l’espace nécessaire au développement du Tombeau égyptien, complété par le Monument égyptien 1884-91 dont il change l’appellation pour Temple de la Nature. Sur la façade principale de vingt-six mètres de long, il façonne les Trois Géants, Jules César, Vercingétorix, Archimède achevés en 1895, titans modelés et modifiés à plusieurs reprises jusqu’en 1902.

En 1888, Ferdinand Cheval achète une parcelle de 900m2 à l’Est. Aidé par un maçon professionnel, il y construit la Villa Alicius baptisée en hommage à sa fille. Achevée en 1895, elle devient la demeure familiale. En 1889, il acquiert un terrain au Nord de 400m2 puis en 1896, un terrain à l’Ouest qui lui permet de doubler la surface globale du Palais et de créer notamment une terrasse. Cette portion est finalisée provisoirement en 1902. En 1907-08 selon les photographies les niches de la façade sont vides. Les miniatures d’exemples architecturaux, temple hindou, chalet suisse, maison carrée d’Alger, château du Moyen-Âge, Maison blanche, ne les rejoignent qu’en 1912. En façades latérales, le facteur imagine au Sud le « Musée antidiluvien » où il conserve ses collections de pierres. Au Nord, l’élévation de tuf et pierres de rivière se compose de petites grottes et d’un bestiaire pléthorique, pélicans, crocodile, cerf, biche et son faon, serpents.








Les murs en galets empruntent leur esthétique à une technique ardéchoise ancestrale. Les éléments ornementaux, tels que des coquilles d’huîtres et des coquillages que le facteur Cheval fait venir de Marseille, sont appliqués sur la maçonnerie grâce à un mortier spécial. Il réalise des modelages sur armature de fil de fer en mortier de chaux, en ciment, en plâtre. Au cours du chantier, Ferdinand utilisera trois-mille-cinq-cents sacs de chaux et de ciment, mille mètres cubes de maçonnerie. Galeries, escaliers, colonnes, cascades, terrasse, grottes, il façonne sans relâche de nouveaux volumes.

Le programme décoratif foisonnant, agrégation d’éléments hétéroclites, éclaire la part créative du travail de Cheval. Il emprunte à l’imagerie coloniale de carte postale ses idées d’architectures étrangères, la mosquée, le temple hindou. Assemblage d’influences improbables, il prélève les motifs dans la nature, dans ses lectures. Les animaux sauvages de nos régions cerf, biche et son faon, oiseaux, croisent d’exotiques pélicans, des éléphants, des jaguars. Au bestiaire fantasmagorique s’ajoutent des créatures mythologiques, mais également des figures historiques, les trois géants Jules César, Vercingétorix et Archimède, des références bibliques, la grotte de la Vierge Marie etc. La végétation de pierre luxuriante enroule ses lianes sur les montants de la construction.








En 1894, Ferdinand Cheval est très marqué par le décès de sa fille à l’âge de quinze. Au cœur du cimetière de Hauterives, il lui élève une chapelle funéraire, une stèle de ciment surmontée d’une croix, habillée de pierres et de coquillages. Le facteur Cheval prend sa retraite en 1896. Le terme officiel de la construction du Palais idéal est établi en 1912, par la mention « 1879-1912, 10 000 journées, 13 mille heures, 33 ans d’épreuves. Plus opiniâtre de que moi se mettre à l’oeuvre ». Néanmoins, les travaux s’achèvent plutôt en septembre 1913. 

Ferdinand Cheval entretient un rapport viscéral à son oeuvre. Travailleur acharné, tout bsorbé entièrement par sa création, il sacrifie ses nuits et son temps libre. Il aurait aimé y être enterré, ne faire plus qu’un avec son oeuvre, mais la loi française ne l’y autorise pas. Alors que le chantier de son oeuvre principale s’achève, Ferdinand Cheval relève un nouveau défi, la construction d’un caveau familial au cimetière municipal. Le facteur Cheval décède le 19 août 1924 à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Il est inhumé auprès de sa femme Claire Philomène Richaud (1838-1914) et sa fille Alice Marie Philomène (1879-1894).








Curiosité locale, le Palais idéal du facteur Cheval séduit les Surréalistes dans les années 1930. André Breton mentionne la construction dans « Les Vases communicants ». Pablo Picasso s’y rend régulièrement et réalise un dessin représentant le facteur. Le monument inspire Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely, pour Le Jardin des Tarots à Garavicchio, dans le Sud de la Toscane, et le Cyclope à Milly-la-Forêt. André Malraux le classe aux Monuments historiques en 1969. 

Sorti en 2018, le film biographique de Nils Tavernier retraçant l’épopée du facteur Cheval connaît un grand succès public.

Palais idéal du facteur Cheval 
8 rue du Palais - CS 10008 - 26390 Hauterives 
Tél : +33 (0)4 75 68 81 19
Horaires d'ouverture
En janvier : de 9h30 à 16h30 / De février à mars : de 9h30 à 17h30 / D'avril à juin : de 9h30 à 18h30 / De juillet à août : de 9h00 à 18h30 / En septembre : de 9h30 à 18h30 / D'octobre à novembre : de 9h30 à 17h30 / En décembre : de 9h30 à 16h30



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.