Paris : Musée de Cluny - Musée national du Moyen-Âge, une institution réinventée - Vème

 

Le Musée de Cluny - Musée national du Moyen-Âge a rouvert ses portes le 12 mai dernier à la suite d’un vaste cycle de restaurations en trois étapes, initié en 2011. Cette mue, la plus importante depuis la création de l’institution en 1843, a été réalisée pour un budget de vingt-six millions d’euros dont six autofinancés. La succession de grands travaux a permis d’ajouter un espace d’accueil de 650m2 donnant sur la rue Du Sommerard. La révision de l’accessibilité, la fluidification du parcours a pris en compte la construction d’ascenseurs ainsi que d’un nouvel escalier. L’écrin réinventé des collections médiévales publiques s’inscrit désormais dans une muséographie contemporaine aux décors inédits. L’institution présente de manière pérenne mille six cents œuvres issues des fonds du musée. L’épure de la monstration, la refonte des espaces d’exposition dans une optique de décloisonnement et de recontextualisation des artefacts, valorisent les collections de l’Antiquité jusqu’aux prémices de la Renaissance. Sur le fil d’une chronologie propice à une meilleure compréhension de l’organisation de la société médiévale, la scénographie explicite le système de valeurs et les références culturelles ainsi que le fonctionnement de l’économie. Elle permet d’appréhender l’évolution des techniques, l’émergence des styles et de mieux saisir les multiples influences à travers les productions artistiques, objets liturgiques ou profanes, objets de la vie quotidienne, arts du combat. Par l’attention particulière portée aux cartels, le Musée de Cluny éclaire les différentes facettes des périodes associées au Moyen-Âge, près de mille cinq cents ans d’histoire, et les rend accessible aux nouvelles générations tout en déconstruisant l’idée d’une époque marquée par l’obscurantisme. Séverine Lepape, directrice du Musée Cluny - Musée national du Moyen Âge, depuis septembre 2019, a assuré une transition en douceur pour une grande réouverture pleine de belles découvertes.











Le Musée Cluny - Musée national du Moyen Âge s’inscrit au cœur d’un ensemble patrimonial classé aux Monuments historiques, une stratification architecturale originale, agrégat d’édifices d’époques très différentes. Les vestiges des thermes gallo-romains, édifiés entre la fin du Ier siècle et le IVème siècle, et le frigidarium ont été intégrés dans le parcours de visite avec les pièces antiques découvertes durant les fouilles archéologique. Accolé à ces premières constructions, l’hôtel des abbés de Cluny date du XIIIème siècle, façades ouvragées, tourelles, gargouilles, il possède une remarquable chapelle chef-d’œuvre du gothique flamboyant tout juste restaurée. Le bâtiment revendique le titre de plus ancien hôtel médiéval de Paris, le premier à avoir été construit entre cours et jardin pour Jacques d’Amboise abbé de l’ordre de Cluny. 

Alexandre Du Sommerard (1777-1842) conseiller à la cour des Comptes grand collectionneur, amateur éclairé que Balzac surnommait « le prince du bric à brac » loue partiellement l’hôtel de Cluny en 1833 afin d’y exposer ses collections d’art médiéval. Ces dernières forment le fonds originel du futur musée national. Elles seront enrichies par son fils Edmond Du Sommerard (1817-1885), premier conservateur du musée de Cluny, qui transforme les 1434 artéfacts en plus de 10 000 numéros. L’ensemble exceptionnel tend à représenter les arts du Moyen-Âge dans leur multiplicité. L’acquisition d’œuvres majeures telles que les tentures de La Dame à la licorne en 1885  ou encore de la tapisserie de la Vie seigneuriale et celle de la Vie et la légende de saint Étienne accroissent le prestige de l’institution.

A la fin du XIXème siècle, des bâtiments supplémentaires sont ajoutés. L’Etat rachète l’hôtel de Cluny et la Ville de Paris lui cède les thermes et le dépôt lapidaire où se trouve le pilier des Nautes et les chapiteaux de l’abbaye de Saint Germain des Prés.  L’institution déployée sur vingt-sept niveaux répartis sur quatre édifices comme autant de ruptures rendait alors l’accès difficile au musée. La grande restauration entamée en 2011 qui vient de s’achever, fait le lien entre les quatre espaces, accroissant leur lisibilité. 











L’architecte en chef des Monuments historiques Paul Bernoud en collaboration avec l’architecte Bernard Desmoulin et le studio Adrien Gardère ont repensé le site pour inventer une nouvelle configuration, plus moderne, dans laquelle la lumière joue un rôle essentiel pour un musée qui jusque-là était plutôt sombre. 

L’ancien canevas scénographique imaginé durant les années 1950, reflétait une vision didactique de spécialistes parfois obscure pour les béotiens. L’ancienne muséographie pensée en vingt-et-une salle par Pierre Verlet et Francis Lalay cadrait autour de la question des techniques, avec les divers métiers pour référentiels. L’épure des collections entamée dès l’entre-deux-guerres a pour vocation de resserrer le propos autour d’une période chronologique. Le mobilier des XVIIème et XVIIIème siècles a été redistribué en région, notamment au château d’Azay-le-Rideau. En 1977, le fonds Renaissance, cinq mille œuvres, a été déposé au château d’Ecouen - Musée national de la Renaissance. 

En 1990, une première réflexion sur la modernisation de la monstration a donné aux salles consacrées à la vie quotidienne. En 1998, la collection d’objets religieux juifs d’Isaac Strauss (1866-1888), acquise à la mort du compositeur par la baronne Nathaniel de Rothschild et offerte au musée de Cluny en 1880 a permis de créer le fonds originel du musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme de Paris.

Désormais, le parcours fluidifié sur 2500m2 emprunte la voie d’une scénographie chronologique de l’Antiquité au Moyen-Âge tardif. Les salles privilégient une lecture simplifiée avec quelques parenthèses thématiques. Le frigidarium des thermes gallo-romains conserve sa fonction de dépôt lapidaire du pilier des Nautes et devient le lieu des expositions temporaires. 











Les trésors ponctuent des espaces baignés de lumière naturelle. Issue du trésor de Guarrazar, découverte archéologique du milieu du XIXᵉ siècle à proximité de Tolède, trois couronnes et croix votives des princes Wisigoth illustrent la curieuse hybridation des arts byzantin et germanique.  L’ensemble composé à l’origine de vingt-six couronnes votives et croix en or a été offert par les rois wisigoths au VIIᵉ siècle en Espagne à l'Église catholique. Les artéfacts présentés évoquent les mondes disparus du Haut Moyen-Âge, Byzance, Ottoniens, Mérovingiens. Le trésor de la cathédrale de Bâle du XIIème siècle côtoie la plus ancienne rose en métal précieux datant de 1330, cadeau du pape.

Plus inattendus, des tissus occidentaux et orientaux, parmi lesquels le suaire supposé de Charlemagne, en provenance du Trésor de la cathédrale d'Aix-la Chapelle. La collection unique des remarquables émaux de Limoges du XIIème et du XIIIème siècles est réuni en une seule salle. La peinture sur bois de la Vierge à l’enfant du peintre Jean Hey souligne la formation flamande et le raffinement de ce peintre actif à Lyon et Moulins au service de la famille de Bourbon entre 1480 et 1505 environ. Les panneaux en bois d’un retable de la Passion du XVIème siècle, provenant de Picardie, dont les reliefs étaient dispersés dans les réserves de Cluny, du Louvre et du musée des Antiquités de Rouen, ont été réunis ainsi que les divers éléments d’un retable de la Pentecôte, de Stavelot en Belgique.

Les vitrines valorisent des pièces d’orfèvrerie rares qui étaient jusque-là conservées dans la salle du trésor. Céramiques hispano-mauresques, coffrets en ivoire célébrant l’amour courtois, reliquaires en argent du XVème siècle, boîtes de jeux, échecs, cartes ou tric trac, plats, grands coffres sculptés, mobilier varié et jouets parmi lesquels le plus ancien soldat de plomb, un chevalier, évoquent une vie plus quotidienne. Les instruments de mesure scientifique, tel qu’un astrolabe, convoquent le souvenir des savants risquant les dénonciations pour hérésie au nom de la science. 










Au sein du musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, Damien Berné, conservateur du patrimoine responsable des sculptures, a mené une vaste campagne de restauration de la collection de sculptures en partenariat avec le Centre de recherche et de restauration des musées de France, notamment autour des œuvres originelles provenant de Notre Dame et de la Sainte Chapelle. Désormais le portail de la chapelle de la Vierge de Saint Germain des Prés mesurant près de 6 mètres de haut, marque de son imposante présence l’entrée de l’espace dédié à Notre Dame. 

Parmi les étapes thématiques les plus remarquées, la salle consacrée à la Sainte Chapelle rassemble les éléments liés à ce monument qui étaient jusque-là disséminés entre les salles dédiées à l’orfèvrerie, à la sculpture et aux vitraux. Les sculptures originelles des douze apôtres, dispersées à la Révolution et réunies par Félix Duban et Jean-Baptiste Lassus à partir de 1841, étaient dans un état de conservation peu compatible avec une présentation dans le monument édifié pour saint Louis. Objet d’une restauration, elles sont exposées au Musée de Cluny tandis que six copies ont été placées dans la Sainte Chapelle. Les faisceaux de colonnettes qui supportaient la grande tribune à reliques de la chapelle haute ont rejoint les vitraux originaux déposés lors de la restauration du XIXème siècle. 

La salle des armes très appréciée des plus jeunes, évoque les tournois, la chasse. Celle dédié à l’art italien, ponctuée de remarquables statues de la Vierge, vient souligner l’importance de la figure mariale au Moyen-Âge. La tapisserie de la Dame à la licorne, surnommée la Joconde de la tapisserie, occupe toute une salle rénovée dès 2013, seule pièce sombre dépourvue de lumière du musée. Le tout dernier espace du parcours, explosion de couleurs, foisonnement de motifs, expose l’intégralité des tapisseries de l’histoire de Saint Etienne et recompose un chœur liturgique avec notamment les stalles de la collégiale de Saint Lucien de Beauvais et un échantillon prestigieux d’art sacré de la fin du XVème siècle.

Musée de Cluny - musée national du Moyen-Âge
28 rue du Sommerard - Paris 5
Tél : 01 53 73 78 00
Horaires : Du mardi au dimanche de 9h30 à 18h15 - Fermé le lundi



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.