Paris : La Dame à la licorne, ensemble de tapisseries iconiques à redécouvrir au Musée de Cluny - musée national du Moyen-Âge - Vème

 

La Dame à la Licorne, surnommée « la Joconde de la tapisserie », dévoile à nouveau ses puissants attraits à l’occasion de la réouverture du Musée de Cluny - musée national du Moyen-Âge. Exécuté au début du XVIème siècle, vraisemblablement entre 1500 et 1538, ce chef-d’œuvre de la fin du Moyen-Âge annonce par son esthétique raffinée le début de la Renaissance. Depuis sa redécouverte en 1841, par Prosper Mérimée aiguillé par George Sand, la tenture composée de six tapisseries de laine et soie ne cesse d’interroger, préservant jalousement ses secrets. Chaque pan d’environ trois mètres par cinq, développe les motifs d’un jardin idyllique sur fond rouge, luxueuse teinture de garance, au style mille-fleurs piqueté de fleurs et de feuillages. Deux femmes correspondant aux canons de beauté du Moyen-Âge, la Dame et sa suivante, dite la demoiselle, s’y divertissent dans des activités gracieuses. Les robes et des parures correspondent à la mode de 1500. La nature s’y présente dans un foisonnement généreux, fleurs à la signification évidente pour les observateurs médiévaux, le muguet, l’œillet, la rose, la menthe, arbres symboliques, le chêne, le pin, l’oranger en fleur, le houx. Animaux domestiques et exotiques s’y mêlent dans un bestiaire qui associe les créatures réelles ou imaginaires : la licorne et le lion porteurs d’étendards héraldiques, de bannières aux armes de la famille Le Viste, une grande variété d’oiseaux, passereau, perroquet, héron, renard, léopard, singe, lapin, agneau, chien. Ode à un idéal de beauté, métaphore de l’amour courtois, la présence de la licorne semble évoquer l’idée d’une union. Cette créature fabuleuse, ici symbole de pureté, de virginité, apparaît néanmoins comme très ambivalente dans l’iconographie médiévale. Les incertitudes concernant le commanditaire, le peintre des cartons et les lissiers n’ont pas été élucidées. Les mystères de son exacte signification restent intacts. Cette œuvre symboliste fascine par sa puissance d’évocation. La poésie ésotérique de la Dame à la licorne inspire la pop culture depuis le XIXème siècle.









Au Moyen-Âge et à la Renaissance, les tapisseries, décor précieux des demeures seigneuriales et de la cour itinérante, marquent par leur opulence le statut social et financier des propriétaires. Des études récentes ont permis d’établir des précisions sur le contexte de création de « La Dame à la licorne ». Le blason, de gueules à la bande d’azur chargée de trois croissants d’argent, présent sur les six tapisseries indique que le commanditaire appartient à la famille Le Viste, lignée aristocratique originaire de Lyon. Les chercheurs ont longtemps cru qu’il s’agissait de Jean IV Le Viste. Une étude minutieuse des armoiries de cette maison a remis en question cette théorie. Il s’agirait plutôt de l’un de ses neveux issu d’une branche cadette, Antoine II Le Viste (1470-1534), ambassadeur de France en Angleterre, magistrat, prévôt des marchands de Paris, président du Parlement de Bretagne.

L’identité du peintre n’a pas été confirmé mais les cartons sont généralement attribués au miniaturiste Jean d’Ypres, enlumineur appartenant à la suite de la reine Anne de Bretagne, actif à Paris entre 1498 et 1508. Ou bien son frère Louis. La réalisation aurait été confié aux liciers des Flandres. Une théorie alternative suggère plutôt des artisans de la Creuse, Aubusson ou Felletin. S’il est communément admis que la tenture représente une forme de quête spirituelle, le doute sur l’ordre d’accrochage des tapisseries persiste. Les cinq premiers panneaux représenteraient les cinq sens tandis que le sixième porteur de la mention « Mon seul désir » demeure plus énigmatique. L’Odorat, la dame effeuille une fleur. Le Goût, elle nourrit un oiseau. La Vue, elle tend un miroir à la licorne. L’Ouïe, elle joue d’un instrument de musique à clavier. Le Toucher, elle pose une main sur la hampe de l’étendard porté par le lion et l’autre sur la corne de la licorne. Mon seul désir, elle dépose une parure dans un coffret tendu par sa suivante avant de pénétrer dans une tente. 

La fille d’Antoine II Le Viste transmet par alliance la tenture à la famille Robertet. Puis elle passe dans le trésor des La Roche-Aynon et puis des Rilhac, propriétaires du château de Boussac dans la Creuse où les tapisseries sont dès lors conservées. En 1835, le château est vendu à la municipalité par leur descendante, la comtesse de Ribeyreix, née Carbonnière. Il devient le siège de la sous-préfecture de Boussac. Les tapisseries sont exposées dans le bureau et les appartements du sous-préfet où l’écrivaine George Sand les découvre en voisine entre 1838 et 1840. Elle mentionne à plusieurs reprise les panneaux de la Dame à la licorne dans ses romans. Dans un article daté de 1847, la femme de lettres fait mention de huit tapisseries, seules six nous étant connues. Les spéculations sur l’origine de la tenture se multiplient. George Sand soutient une hypothèse fantaisiste selon laquelle le prince ottoman Djem dit Zimzim, réfugié chez les chevaliers de Rhodes pour fuir son frère le sultan Bayezid II, reclus volontaire à Bourganeuf, aurait dans sa solitude tissé les tapisseries de La Dame à la licorne.








George Sand signale l’intérêt de cette précieuse tenture à son amant, Prosper Mérimée, alors inspecteur général des monuments historiques, en voyage d’inspection dans la Creuse. Il parvient à faire classer les six panneaux de La Dame à la Licorne. Lors des recherches préliminaires sur leurs origines, il consigne des pistes dans un courrier échangé avec ses confrères. Il est question de tapisseries découpées par le comte de la Carbonnière, précédent propriétaire peu embarrassé d’art, pour servir de tapis et couvrir des charrettes. Prosper Mérimée n’est pas parvenu à établir qu’il s’agissait d’éléments appartenant au cycle de la Dame à la licorne.  

En 1882, Edmond du Sommerard, conservateur du musée du Moyen-Âge, émissaire de l’Etat, se rend à Boussac afin d’acquérir les six tapisseries de la Dame à la licorne pour la somme de 25 000 franc-or. La tenture entrée dans les collections publiques sera cachée à Toulouse durant la Première et la Seconde Guerre Mondiale.

En 1974/73, La Dame à la licorne traverse l’Atlantique pour être exposée au Metropolitan Museum de New York. En 1992, le Musée de Cluny où elle est conservée lui consacre un espace dédié, une salle ronde. Le manque d’aération s’avère néfaste pour les tapisseries. Une importante campagne de restauration, dépoussiérage, nettoyage, changement des doublures trop lourdes, est menée en 2011. En 2013, La Dame à la licorne passe six mois au Japon durant lesquels la salle d’exposition du Musée national du Moyen-Âge est réaménagée dans une scénographie plus adaptée. De février à juin 2018, elle voyage à Sydney en Australie. Fin 2021, début 2022, elle est exposée à Toulouse avant de rejoindre le Musée de Cluny à temps pour la réouverture.

La Dame à la licorne

Musée de Cluny - musée national du Moyen-Âge
28 rue du Sommerard - Paris 5
Tél : 01 53 73 78 00
Horaires : Du mardi au dimanche de 9h30 à 18h15 - Fermé le lundi



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.