Cinéma : Pierre Pinoncelli, l’artiste à la phalange coupée, un documentaire de Virgile Novarina


Pierre Pinoncelli, artiste rattaché à l’école de Nice, né à Saint-Etienne le 15 avril 1929, est décédé le 2 novembre 2021 à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Pionnier des performances, il a signé tout au long de sa carrière plus de soixante-dix happenings motivés par un engagement politique, historique, histoire de l’art. Le documentaire « Pierre Pinoncelli, l’artiste à la phalange coupée » retrace le parcours unique, d’un homme en constante révolte, de ses premières huiles expressionnistes sur toile dans les années 1960 jusqu’à la période pop plus tardive, ses dessins à l’encre ou les cents exemplaires de « Fontaine de Duchamp ». Virgile Novarina, le réalisateur lui-même artiste, a noué une profonde amitié avec Pierre Pinoncelli, nourrie par un sentiment de filiation. Personnage hors du commun, son oeuvre est marquée par un engagement radical. Esprit frondeur, Pierre Pinoncelli s’illustre dès les années 1970 par des performances subversives propres à marquer les esprits et très fortement médiatisées. 


 




Pierre Pinoncelli exerce plusieurs métiers avant de se consacrer à la peinture au début des années 1960. Sa première exposition monographique en 1962 reçoit le soutien critique d’art anarchiste Michel Ragon. En 1966, l’empreinte de sa main posée sur des tableaux aux sujets lestes, se transpose sur son propre visage. Se promenant avec la face peinte, il signe ses premières performances. En 1969 « Meurtre rituel avec un cochon » à Coaraze dans les Alpes-Maritimes s’inscrit la réalité de l’élevage et de la mise à mort dans la provocation trouble d’un message politique. La même année, à l’occasion de l’inauguration du musée Chagall de Nice, Pierre Pinoncelli asperge de peinture rouge à l’aide d’un pistolet à eau André Malraux alors ministre des Affaires Culturelles. Ce dernier se saisit du jouet et le retourne contre l’artiste. 

En 1975, afin de protester contre le jumelage entre la ville de Nice et Le Cap en Afrique du Sud alors sous le régime de l’apartheid, Pierre Pinoncelli braque une agence de la banque Société Générale à Nice, armé d’un fusil chargé à blanc. Il réclame au guichet la somme symbolique de dix francs. Il est arrêté par le même policier qui était intervenu en 1969 lors de l’affaire Malraux. Lors de la Guerre du Biafra, il s’insurge contre le conflit et l’intervention de la France officieuse en manifestant couvert de bandelettes ensanglantées.

Ami personnel de Marcel Duchamp, Pierre Pinoncelli décide de redonner sa dimension ironique à la plaisanterie vaguement scato de « Fontaine », oeuvre devenue l’insoutenable fétiche sacré de l’art contemporain. En 1993 au Carré d’art de Nîmes, il rend l’urinoir de Duchamp à sa fonction première puis attaque l’icône du ready-made au marteau. En 2006 l'exposition Dada au Centre Georges-Pompidou à Paris, il réitère l’hommage au marteau, fêlant l’urinoir. Ces deux attaques font l’objet de procès très médiatisés.

En 2002, lors du Festival de Cali en Colombie, Pierre Pinoncelli se coupe à la hache une phalange de l’auriculaire, automutilation pour dénoncer contre la violence des FARC et protester contre la détention d’Ingrid Betancourt retenue en otage dans la jungle amazonienne.





Le parcours étonnant de cet artiste aux actions iconoclastes foisonnantes, aux idées exubérantes a inspiré le projet d’un documentaire à l’artiste Virgile Novarina dès 2010. Durant l’année 2011, le réalisateur mène une série d’entretiens avec Pierre Pinoncelli. Afin de nourrir son film, il s’attache au travail journalistique de recherche à partir de 2013. Il recueille les témoignages, va à la rencontre des protagonistes, des critiques d’art, des amis de l’artiste. A l’écran interviennent, le galeriste Michel Guinle, Ingrid Betancourt qui vit désormais à Oxford en Angleterre, ancienne politicienne en Colombie, ex otage des Farc, Roger Gailleurd le policier niçois qui par deux fois a arrêté Pierre Pinoncelli. Virgile Novarina a réuni des documents inédits, en ayant accès aux archives Malraux à Paris, à celles de la Police Nationale, de l’INA, et également les archives personnelles des différents témoins. 

Les coups d’éclat retentissants de Pierre Pinoncelli visent tout au long de sa carrière à interpeler l’opinion publique, éveiller les consciences. Au gré des témoignages, Virgile Novarina donne à voir comment l’artiste embrasse le grotesque, l’outrance, cherche l’émotion, le rire, l’effroi. La charge provocatrice s’inscrit dans un questionnement philosophique soutenu par l’amplitude de la démarche plastique. Ces happenings uniques pas exemptes d’une certaine forme de vandalisme ont souvent été souvent mal interprétés faute de relais adéquat, les médias préférant se focaliser sur les actes plutôt que sur le propos, les idées ou les causes. Virgile Novarina leur redonne leur pleine dimension politique.

Pierre Pinoncelli, l’artiste à la phalange coupée
Un documentaire de Virgile Novarina
Sortie le 8 juin 2022



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.