Lundi Librairie : August - Callan Wink

 


August grandit dans une ferme laitière au coeur des paysages sans aspérités du Michigan. Ses parents se sont séparés. Son père, Darwin, se sent bien dans sa vocation de travailleur manuel. Homme simple, il souhaiterait que son fils reprenne l’exploitation familiale. Bonnie la mère, excentrique, diplômée, politisée étouffe dans cet univers trop étriqué. Elle a transmis à August sa curiosité naturelle et sa soif d’apprendre. Elle craint qu’il suive la voie de son père. Inspirée par « Légende d’automne » l’adaptation cinématographique du roman de Jim Harrison, elle rêve des grands espaces de l’Ouest américain. Lorsqu’elle trouve un poste de bibliothécaire, elle déménage avec August dans le Montana. Grâce à sa stature, il est très vite intégré dans l’équipe de football américain du lycée sans pour autant se lier réellement d’amitié avec ses coéquipiers. Adolescent taciturne, introverti, il doit bientôt se décider s'il veut aller à l’université ou pas. Une première peine de cœur, des douleurs engendrées par sa pratique sportive, August ne sait plus tellement où il en est même. Sa mère le pousse à poursuivre ses études. Lors d’une soirée dans les bois, il assiste à l’agression d’une camarade de lycée. Bouleversé sans se l’avouer, il choisit alors de partir travailler dans un ranch isolé, un monde d’hommes, où les loisirs sont simples, la pêche à la mouche en solitaire, les rodéos, boire des bières dans les bars.

Roman d’apprentissage, « August » raconte au plus près de son personnage principal, sans distanciation ni posture, l’histoire d’un adolescent qui accède à l’âge adulte. Les années de formation, de douze à dix-neuf ans, sont marquées par les attentats du 11 septembre et l’atmosphère sinistre qui règne aux Etats-Unis. Callan Wink fait le compte des expériences qui forment l’adulte en devenir qu’est Auguste. Il observe avec acuité la violence de la société, les conflits à l’école entre adolescents qui se règlent dans des clairières, les agressions sexuelles dont sont victimes les jeunes filles, les camarades de classe recrutés par l’armée qui meurent en Irak. 

Le romancier explore la condition des ruraux de l’Amérique profonde. Il dit la méfiance vis à vis de l’éducation et des gens venus des grandes villes. Callan Wink décrit les vies discrètes, saisit au vif celles dont l’envergure demeurera toujours modeste. Le jeune primo-romancier campe une galerie de personnages contrastés, cowboys philosophes, solitaires ancrés dans leur terre, hommes rugueux dépourvus d’ambition. Sous un stoïcisme de façade, ces durs à cuire n’échappent pourtant pas aux vagues à l’âme lesquels se traduisent par la violence et l’alcool. Un sentiment d’insécurité prégnant flotte sur ses existences âpres, aux relations difficiles. Cette société minée par une misogynie insidieuse place les hommes dans une posture machiste et nourrit une masculinité toxique. La vision élémentaire des rapports homme-femme empêche les connexions réelles. 

Dans ce roman contemplatif, les descriptions réalistes sans fioritures embrassent une géographie sensible. Callan Wink cède parfois à une forme de lyrisme poétique dans son évocation de la sensorialité, l’odorat, les parfums des bêtes, du foin, le goût du lait cru, de la première gorgée de bière, la vue et la beauté frappante des paysages du Montana. « August » évoque subtilement la violence qui couve, la rage et le désespoir inexprimés, l’appréhension face à l’avenir. Le personnage principal rencontre des difficultés à mettre des mots sur ses sentiments. Il ne se connaît pas bien. Il trouve dans le travail manuel une forme de consolation à ses troubles, à ses doutes. Cette introspection tranquille passe par le prisme d’un ordinaire à la complexité révélée. Les intériorités peinent à s’exprimer

Loin des cercles littéraires, Callan Wink atteint dans la maîtrise du récit, preuve d’une grande maturité, une certaine qualité d’authenticité précieuse. 

August - Callan Wink - Traduction Michel Lederer - Editions Albin Michel - Collection Terres d’Amérique



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.