Ailleurs : Monastère royal de Brou, histoire d'un monument de style gothique flamboyant et de sa fondatrice Marguerite d'Autriche - Bourg-en-Bresse

 

L’histoire du Monastère royal de Brou est intimement liée au destin exceptionnel de sa fondatrice, Marguerite d’Autriche (1480-1530). Fille de Maximilien Ier (1459-1519), chef de la maison de Habsbourg, et de Marie de Bourgogne (1457-1482), unique enfant de Charles le Téméraire (1433-1477), le quatrième et dernier duc de Bourgogne de la lignée Valois, la princesse est l’héritière de prestigieuses dynasties. A vingt-cinq ans, mariée trois fois, répudiée, puis veuve à deux reprises, Marguerite de Habsbourg, archiduchesse d’Autriche, successivement princesse de Bourgogne, fille de France, infante d'Espagne et duchesse de Savoie, a déjà connu un sort hors du commun. Cette femme de la Renaissance, grand mécène, férue d’arts, de littérature, de musique, attire à Malines où elle réside et élève son neveu le futur Charles Quint, l’une des plus brillantes cours d’Europe. La princesse se rend propriétaire d’œuvres majeures telles que « Les très riches heures du duc de Berry », le « Portrait des époux Arnolfini » de Van Eyck. Au décès de son troisième époux, Philibert de Savoie, Marguerite d’Autriche manifeste l’idée de créer le Monastère royal de Brou, donnant ainsi suite au vœu de sa belle-mère, Marguerite de Bourbon. La construction débute en 1506 sous la direction de l'architecte Louis van Bodgeghem.  L’église Saint Nicolas de Tolentin, construite de 1513 à 1532, et les trois cloîtres sont classés au titre des Monuments historiques. Les bâtiments monastiques de Brou abritent désormais le musée municipal de la ville de Bourg-en-Bresse. L’un des cloîtres est consacré à l’exposition des collections d’art français, italien et flamand, du XVème au XXème siècle, fonds dont le socle originel doit beaucoup au mécénat de la fondatrice.












Marguerite de Habsbourg (1480-1530) se retrouve dès son plus jeune âge au coeur de transactions matrimoniales propres à servir les ambitions géopolitiques de son père, l’empereur Maximilien Ier. En 1482, le traité d’Arras entre celui-ci et Louis XI de France marque un terme à quinze années de guerre. Il stipule une alliance royale. A l’âge de trois ans, Marguerite est promise au Dauphin de France, futur Charles VIII, fils de Louis XI. La petite princesse quitte la cour francophone de Bruxelles. A Amboise, l’union avec le Dauphin est scellée sur papier. Mais l’accord est saboté par les manœuvres de Maximilien qui souhaite étendre son autorité à l’ouest du royaume de France. Veuf, ce dernier épouse, par procuration, en 1490, Anne de Bretagne. Le trône de Charles VIII est menacé. Il décide de répudier Marguerite qui a dix ans. Pour freiner l’avancée des Habsbourg, il entame le siège de Rennes où Anne de Bretagne est réfugiée. Il obtient qu’elle renonce à son union avec les ennemis de la France. En 1491 Anne épouse officiellement Charles VIII. Le mariage par procuration avec Maximilien est reconnu nul par le pape Innocent VIII en 1492

Les ambitions d’expansion de Maximilien relancent les tractations diplomatiques. Il envisage une alliance avec la couronne d’Espagne. Dès 1496, il négocie le mariage de ses enfants aux héritiers du trône de Castille et d’Aragon. Ainsi Philippe le Beau (1478-1506) épouse Jeanne de Castille (1479-1555). Et Marguerite convole pour son deuxième mariage avec Juan d’Aragon (1478-1497), infant d’Espagne. La cérémonie se tient à Pâques, fin mars 1497. De santé fragile depuis son enfance, Juan décède en octobre de la même année, probablement de la tuberculose. Des rumeurs font peser des soupçons sur la jeune épousée, dont le tempérament ardent aurait épuisé le jeune prince. Marguerite accouche d’un enfant mort-né en 1498.

En 1501 nouvelle union, elle se marie avec Philibert le Beau, duc de Savoie. Le couple d’installe au château de Pont-d’Ain. Mais Philibert décède subitement, à la suite d’un refroidissement, le 10 septembre 1504, dont le saint patron est Saint Nicolas de Tolentin. Marguerite ne quittera plus le deuil de ce mariage heureux. Elle refuse un projet de mariage avec le roi d’Angleterre Henri VII. Sa devise « Fortune Infortune Fort Une » évoque sa résignation dans le malheur.











La princesse regagne les Flandres auprès de son frère Philipe le Beau. Celui-ci meurt à Burgos, en 1506 d’une fièvre typhoïde. Jeanne de Castille, reine de Castille et d’Aragon aurait perdu la raison au décès de son époux. Fort à propos pour les intrigants avides de pouvoirs. Surnommée Jeanne la folle, elle est démise de ses fonctions régaliennes. L’éducation de ses enfants, quatre filles et deux garçons dont le futur Charles Quint (1500-1558), est confiée à leur tante Marguerite d’Autriche. La princesse élève la fratrie à Malines. Durant la minorité de son neveu, Marguerite assure la régence des Pays-Bas. Après l’intronisation en 1516, elle devient gouverneur général de la région, sous le titre de « gouvernante ». 

Marguerite de Habsbourg joue un rôle majeur dans la pacification des rivalités qui opposent Charles Quint, souverain le plus puissant d’Europe et François Ier (1494-1547). Fait prisonnier à Pavie en 1525, après une année de captivité, le souverain français a laissé ses deux fils en otage. La paix est brève. Charles Quint exige la restitution du duché de Bourgogne. La guerre reprend en 1526. Marguerite de Habsbourg négocie avec sa belle-sœur Louise de Savoie, mère de François Ier, le traité de Cambrai. Signée en 1529, La « paix des Dames » met fin à la septième guerre d'Italie (1526-1530) entre Charles Quint et François Ier. Mais bientôt, les revendications françaises sur le duché de Milan initient la huitième guerre d’Italie en 1536. Elle s’achève en 1538. La France renonce au duché de Milan mais prend possession de la Savoie et le Piémont qui restent français jusqu’en 1559.

Le projet du Monastère royal de Brou remonte au vœu émis en 1480 par Marguerite de Bourbon (1438-1483), belle-mère de Marguerite d’Autriche. Son époux, Philippe II de Savoie (1438-1497), est blessé lors d’une chasse. Dans ses prières pour sa guérison, elle promet la création à Brou d’une église et d’un monastère bénédictins. Mais la duchesse meurt en 1483 sans avoir eu le temps de tenir son serment. 












Sa belle-fille, Marguerite d'Autriche, veuve en 1504 de Philibert II, successeur de Philippe, manifeste le désir de mener à bien le projet avec l’approbation du Saint Siège. L’architecte Louis van Bodgeghem (1470-1540) s’attelle aux plans et dessins. Selon le souhait de Marguerite de Hasbourg - rendre hommage à sa lignée - il s’inspire de l’architecture bourguignonne. Il prend pour modèle l’oratoire ducal de la Chartreuse de Champmol à Dijon, capitale du duché de Bourgogne. La première pierre est posée en 1506 à proximité de la ville de Bourg-en-Bresse, l’une des capitales du duché de Savoie. Le monastère s’inscrit dans un style gothique flamboyant. Finesse des tailles, dentelle de pierre, motifs délicats, le programme décoratif foisonne de détails, de formes. De nombreux emblèmes font référence au duché de Charles le Téméraire. Le toit bourguignon à deux versants recouverts de tuiles vernissées polychromes marque une appartenance régionale indéniable.

Marguerite d’Autriche suit la progression du chantier du Monastère de Brou depuis Malines où elle réside. Elle s’investit dans la sélection des artistes et artisans du Nord de l’Europe, reflet de l’art flamand du XVIème siècle, peintres, sculpteurs. Ses choix orientent l’esthétique général du bâtiment vers plus de modernité. Le monastère s’étend sur trois cloîtres de style hétéroclite distribués en étages. Marguerite envisage de s’y installer et fait aménager des appartements privés, trois pièces en enfilade qu’elle n’occupera jamais, emportée par la gangrène à l’âge de cinquante ans. Aujourd’hui aménagés en espaces d’exposition, ils évoquent les aspects majeurs de son existence. 

La construction du Monastère royal de Brou débutée en 1503 s’achève par sa consécration en 1532, date à laquelle la dépouille de Marguerite de Bourgogne, décédée en 1530 de la gangrène, rejoint celle de son époux. L’église est finalement dédiée à Saint Nicolas de Tolentin, plutôt qu’à Saint Benoît, en hommage à son cher disparu. Mausolée princier et chef-d’œuvre du gothique flamboyant, elle accueille les tombeaux de Marguerite d’Autriche, sa commanditaire, Philibert II de Savoie, et Marguerite de Bourbon, la mère de ce dernier.












Monument préféré des Français en 2014, le Monastère royal de Brou a connu pourtant de nombreuses déconvenues, risquant jusqu'à la destruction. En 1759, Antoine-Michel Perrache (1726-1779), ingénieur et sculpteur lyonnais chargé de sa rénovation, remplace la charpente et impose un toit à la Mansart. La toiture ne retrouve sa forme originelle et ses tuiles vernissées qu’en 1998 à la suite d’une campagne majeure de restauration 

Sous la Révolution, l’intégrité du monument est menacée. Il est question d’abattre le clocher et de détruire les précieuses sépultures, considérés comme des symboles féodaux monarchiques. Thomas Riboud, né en 1755 à Bourg-en-Bresse, mort en 1835 à Jasseron, magistrat, homme politique, député de l’Ain en discontinu de 1791 à 1815, membre du conseil des Cinq-Cents, contribue à sauver le monastère. Il obtient qu’il soit classé « Monument national » par la Convention (21 septembre 1792 - 26 octobre 1795). Ce statut le préserve du démantèlement. Membre de nombreuses sociétés savantes, telles que l’Institut de France, Thomas Riboud devient l’un des pionniers de la défense du patrimoine. Il lègue à la ville de Bourg-en-Bresse, une collection de cent-vingt tableaux, témoignage précieux de la peinture régionale mais aussi flamande, hollandaise et française. Ce fonds détermine la création du musée municipal en 1854.

Le Monastère de Brou géré par le Centre des Monuments nationaux, abrite le musée municipal de la ville de Bourg-en-Bresse depuis 1922. Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, l’un des trois cloîtres monastiques est aménagé afin d’accueillir la nouvelle institution muséale. Elle ne fait entrée commune avec le monument que depuis les années 1990. La présentation des collections dans un écrin historique questionne l’idée de conservation d’un fonds artistique et de valorisation de l’architecture. Au Monastère de Brou, la vaste campagne de restauration achevée en 2019 a permis de repenser le parcours muséographique dédié aux collections permanentes du musée municipal. Le monument et le musée ont trouvé leur dynamique, leur synergie.

63 boulevard de Brou - 01000 Bourg-en-Bresse
Tél : 04 74 22 83 83
Horaires : Du 1er octobre au 31 mars de 9h à 12h et 14h à 17h - Du 1er avril au 30 juin de 9h à 12h30 et de 14h à 18h - Du 1er juin au 30 septembre de 9h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.